dimanche 10 janvier 2010

La Stasi à l’école: surveiller pour eduquer en RDA (1950-1989)


Emmanuel Droit Editions Nouveau Monde 243 pages Septembre 2009

De par son parcours universitaire, l’auteur entend se placer dans une démarche historiographique bien précise : celle d’une histoire sociale de la Stasi centrée notamment sur les interactions entre le pouvoir politique et la société. Ce courant historiographique, représenté également par Mary Fulbrook en Angleterre, se distingue du courant mettant davantage en avant la Stasi comme instrument du totalitarisme avec comme représentante par exemple Anna Funder.

L’ouvrage comprend ainsi trois parties :

- La Stasi comme instrument de domination de sa création jusqu’en 1961

- De la répression à la surveillance

- La Stasi comme lieu de mémoire


Dès l’année 1946, Américains et Russes mettent en place dans leur zone d’occupation un embryon de police politique. Pour ces derniers, il s’agit en premier lieu du Commissariat 5. La structure va évoluer petit à petit et se concentrer sur les questions d’ordre économique avant de s’émanciper du ministère de l’intérieur et de devenir une structure autonome. La Stasi est officiellement créée en février 1950.

Pendant 10 ans, la Stasi va surtout intervenir de façon réactive dans le champ scolaire par exemple dans l’examen de dossiers de candidats à l’entrée au parti socialiste unifié (SED). L’auteur détaille à ce propos l’exercice autobiographique auquel doivent se livrer les candidats et les pièges qu’il renferme pour ceux qui se montrent trop candides. La première partie de l’ouvrage se termine par une analyse des événements du 17 juin 1953. La Stasi est encore trop peu implantée pour anticiper les effets du soulèvement dans le milieu scolaire. Il ne reste plus aux organisations de jeunesse comme la FDJ à diffuser le mythe selon lequel les événements sont la conséquence de tentatives de déstabilisations venues de l’ouest.


Le traumatisme de juin 1953 va entrainer un changement de paradigme dans l’organisation de la Stasi avec l’arrivée à sa tête d’Erich Mielke. L’augmentation exponentielle du nombre de collaborateurs officieux de la Stasi va de pair avec l’élargissement de la notion d’ennemi intérieur qu’il convient de surveiller. Après avoir fondé beaucoup d’espoir sur les premières générations d’allemands de l’est nés après 1945 pour faire éclore l’homme socialiste nouveau, la Stasi entend par sa présence inculquer et faire intérioriser certaines valeurs. Il s’agit de pousser à un certain conformisme social tout en recrutant et formant les futures élites.


L’auteur se concentre sur différents thèmes comme le rôle de la Stasi dans la surveillance des jeunes générations de réformistes interpellés par la répression du Printemps de Prague en 1968, celle des « peer groups » par exemple les punks, ou encore la participation active de la Stasi dans la militarisation progressive de l’éducation en RDA.


Tout comme l’auteur, on ne peut que souligner les imperfections des rapports de la Stasi en tant que matériels historiques tant ils donnent lieu à des spéculations. Ce qui frappe également, c’est l’inutilité concrète de certains rapports pourtant récompensés par des primes. La Stasi est trop prisonnière de ses grilles de lecture binaires et manichéennes pour analyser utilement les informations récoltées. Ces défaillances expliqueront en grande partie sa chute à l’automne 1989.


La troisième et dernière partie du livre traite de la Stasi comme lieu de mémoire touchant d’abord l’ancienne Allemagne de l’Est puis l’Allemagne réunifiée dans son ensemble à l’image de la controverse touchant l’accessibilité des données de l’ancien Chancelier Helmut Kohl. Les indications bibliographiques sont un excellent point de départ pour qui entend explorer le thème de la Stasi dans la littérature allemande. On signalera entre autres les ambigüités de Christa Wolf ou le livre de Thomas Brussig « Helden wie wir » traduit en français sous le titre « Le complexe de Klaus ».


Comme l’auteur, il nous faut rendre hommage aux actions citoyennes ayant permis de préserver l’intégrité des archives de la Stasi maintenant sous la responsabilité de la BStU (Die Behörde der Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik ).

Nous recommandons également la visite du mémorial de Berlin-Hohenschönhausen où les visites sont conduites par d’anciens détenus. Une telle visite peut être utilement préparée par la lecture du récit de Jürgen Fuchs « Souvenirs d’interrogatoires ».

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