samedi 28 décembre 2013

Wer jung ist, liest die Junge Welt - Die Geschichte der auflagenstärksten DDR-Zeitung

Michael Meyen, Anke Fiedler, Ch. Links, 279 pages (2013).



Après sa création en mars 1946, l’organisation de la jeunesse libre allemande (Freie Deutsche Jugend ou FDJ) va rapidement pouvoir s’appuyer sur son propre organe de presse. En février 1947, sort en effet le premier numéro du journal intitulé « Die junge Welt » édité d’abord une fois par semaine, tous les mercredis. Cinq ans plus tard, le même journal se fait quotidien. Son tirage augmente régulièrement : de plus de 250000 au début des années 1960, il passe à 500000 exemplaires en 1971 et dépasse le chiffre de 1,5 million à la fin des années 1980 (bien plus que l’organe officiel du SED le Neues Deutschland). A son apogée, même s’il ne comportait généralement que 8 pages, le journal employait 100 personnes. La disparition des subventions dont  bénéficie le titre et la fin de la RDA vont avoir des conséquences drastiques sur ce dernier : à l’automne 1990, le nombre d’exemplaires tombe à 200000 puis diminue encore de moitié quelques mois plus tard. Aujourd’hui, il est toujours possible de trouver le journal qui revendique un tirage quotidien d’environ 20000 exemplaires et de 40000 à 50000 lecteurs, pour la plupart des abonnés.

A travers une étude qualitative de ce journal si étroitement lié à la RDA, les deux auteurs Michael Meyen et Anke Fiedler veulent prendre leur distance avec des semi-vérités sans pour autant tomber dans une certaine complaisance avec le régime de la RDA. Par exemple, si le journal consacre de nombreuses pages à des compte-rendus de nature politique, ses journalistes restent attachés à leurs particularités dans le traitement de certains sujets comme la page des sports, les conseils donnés aux lecteurs dans la vie de tous les jours ou encore les enquêtes menées auprès de ces derniers. De même, si le journal a pu offrir de grandes possibilités de carrière et d’ascension sociale à des individus sans formation préalable aux métiers du journalisme, le parcours des journalistes se professionnalisait en même temps que les liens les unissant au SED (Parti socialiste unifié allemand) évoluaient.

Le journal « Junge Welt » s’est tout de suite considéré comme un instrument de sensibilisation et de mobilisation au profit de la RDA. Le 12 octobre 1949 est ainsi célébrée la naissance de la RDA perçue comme la renaissance de la Nation Allemande dans un article rédigé par Erich Honecker. De la même façon, le journal a pendant un temps porté les insignes de plan quinquennaux comme il a loué en 1948 les exploits d’Adolf Hennecke, le mineur dont la production journalière a atteint 387 % des quotas demandés. En juin 1953, le journal raconte comment sa rédaction a échappé à l’action revancharde des contre-révolutionnaires et en août 1961 comment la construction du mur a participé à la protection de la paix. Quelques années plus tard, il consacre de nombreuses colonnes aux membres de la FDJ qui montent sur les toits pour tordre les antennes de télévision pointées vers l’ouest. Au cours des années 1970, le journal va ainsi prendre la tête de campagnes en faveur du Parti Communiste Chilien ou encore d’Angela Davis jusqu’à l’accueillir à Berlin après sa libération de prison.

Au-delà de ces engagements partisans sans surprise, ce qui a fait la particularité du journal « Junge Welt » sont des rubriques correspondant aux attentes d’un public jeune dans les années 1970 comme « Unter vier Augen » ou « entre quatre yeux » sous la direction de Jutta Resch-Treuwerth traitant des questions intimes de l’adolescence ou bien la rubrique « Hand aufs Herz » où la rédaction demandait l’avis des lecteurs sur des sujets sociaux ou politiques. L’avis des lecteurs était plus fréquemment demandé que dans n’importe quel autre journal de RDA, par exemple pour remettre le titre de sportif de l’année (par exemple en 1987 à la patineuse Katarina Witt).

Le sport était certainement le domaine où la rédaction du journal s’octroyait la marge de manœuvre la plus grande comme le démontre le traitement de la controverse entourant les décisions arbitrales contestées au milieu des années 80 en faveur du club du Dynamo Berlin présidé par Erich Mielke, le chef de la stasi. Alors que les journalistes sportifs de télévision s’en tenaient à des données minimalistes et purement factuelles quand ils relataient les actions des sportifs de l’Allemagne de l’Ouest, ceux du « junge welt » pouvaient recueillir les propos de Boris Becker dans un entretien approfondi. Pour autant, même dans cet espace de liberté relative que restait le sport, il n’était pas question pour le journal de remettre en cause une des vitrines du régime. L’opprobre jeté par le journal sur les sportifs passés à l’ouest à l’origine des premières révélations de dopage systématique en RDA est ici très significatif.

Le dernier chapitre de l’ouvrage, précédant un rappel chronologique des grands événements de la vie du « Junge Welt », est consacré au lectorat du journal. Dans un pays où les ménages lisent en moyenne 1,5 quotidien par jour, être abonné ne signifie pas pour autant adhérer sans réserve aux idées et thèses qui y sont exprimées. En réalité, le taux de pleine satisfaction vis-à-vis d’un journal correspond, selon les auteurs, au taux de pleine adhésion à la politique conduite par les autorités de la RDA (soit environ 25 % de la population). Néanmoins, pour une part importante des lecteurs, la relation avec le journal peut être très étroite. Cette proximité s’explique en partie parce que « Die junge Welt » coopère avec l’institut de sondage basé à Leipzig pour proposer dans certaines de ses rubriques le contenu attendu de la part de ses lecteurs. Cette proximité peut prendre également d’autres formes.  En effet, la rédaction du journal se substitue dans l’esprit de certains aux autorités publiques quand il s’agit d’exprimer des doléances ou des requêtes (Eingaben). De même, il arrive aux journalistes d’intercéder auprès des autorités compétentes afin de venir en aide à un lecteur qui s’est signalé auprès d’eux. Le courrier des lecteurs est donc un indicateur très fiable de l’état d’esprit de la population, à tel point que la Stasi relève en juin 1988 que le ton employé est de plus en plus vindicatif et que les critiques vis-à-vis des autorités comme des journalistes sont chaque jour plus franches et ouvertes.

L’ouvrage de Michael Meyen et Anke Fiedler analyse en profondeur l’histoire du journal « Die junge Welt » dans un style proche du récit historique qui permet de mêler entretiens, témoignages et documents photographiques.

jeudi 5 décembre 2013

Party, Pomp und Propaganda - Die Berliner Stadtjubiläen 1937-1987

Krijn Thijs, 128 Pages, NICOLAI - 2012





















L’ouvrage « Party, Pomp und Propaganda » a été publié au moment où Berlin célébrait le 775ème anniversaire de sa fondation, au cours de l’année 2012. A travers plusieurs grands thèmes comme Berlin au Moyen-Age ou Berlin ville de la multiplicité et de la diversité, il importait pour la ville de fêter son unité retrouvée de façon apaisée et consensuelle.








En effet, le premier jubilé de la ville a été célébré en 1937 alors que les nazis avaient fait de Berlin la capitale du Troisième Reich dont il importait alors de faire oublier les origines slaves. Cinquante ans plus tard, Berlin Ouest et Berlin Est célèbrent les 750 ans de la ville dans des conditions bien différentes.

La ville de Berlin trouve ses origines dans la fusion de deux établissements marchands de part et d’autre de la Spree, Berlin et Cölln. Si la première mention écrite de Berlin date de 1244, celle de Cölln est plus ancienne et remonte à1237. Puisque les deux villes ont fusionné en 1307 pour constituer le noyau du futur grand Berlin, c’est bien 1237 qui a été retenue comme date de fondation de Berlin.

En 1937,  trois hommes étaient principalement en charge de faire de Berlin la capitale d’un Empire qui devait durer 1000 ans : Julius Lippert (devenu maire après une purge) mais aussi et surtout Joseph Goebbels ( Gauleiter) et Albert Speer (Generalbauinspektor für die Hauptstadt). Krijn Thijs rappelle avec justesse les faits marquants de cette célébration des 700 ans : l’absence d’Adolf Hitler, le défilé de chars de fleurs (avec la participation d’entreprises alors récemment aryanisées comme la marque de chaussure Leise), le cortège parti du site de l’actuelle gare centrale jusqu’au quartier de Treptow. Un an après les jeux olympiques, le stade allait servir de cadre à plusieurs manifestations comme les compétitions du Reich ou encore l’ensemble de chorégraphies appelé « Berlin à travers 700 ans d’histoire allemande ». L’exaltation des origines germaniques de Berlin par opposition à ses origines slaves va de paire avec la mise en avant du « vieux Berlin » avec des manifestations en costume d’époque et des reconstitutions de batailles entre quartiers. En 1937, des recherches archéologiques ont par ailleurs été entreprises à Kablow pour démontrer la prépondérance de Berlin en tant que lieu de peuplement germanique.

En 1987, Berlin célèbre son anniversaire dans un climat de rivalité représentatif de la guerre froide. Alors que les manifestations de 1937 ont un caractère purement local, celles de 1987 avaient à Berlin-Est un caractère national. Le jubilé de 1987 devait servir à conforter la légitimité internationale de la RDA dans son ensemble. Ainsi, Berlin a vu se réunir en mai 1987 les chefs d’Etat du Pacte de Varsovie. Un défilé a eu lieu le 4 juillet entre Unter den Linden et la Karl-Marx-Allee pour retracer en quelques 291 images l’histoire de Berlin dans laquelle la formation de la République Démocratique Allemande (RDA) tient une place essentielle à travers la naissance de la classe ouvrière. D’un point de vue architectural, les 750 de Berlin ont accéléré la reconstruction de plusieurs quartiers historiques de l’est de Berlin à l’image de la « Platz der Akademie », l’actuelle Gendarmenmarkt, certaines rues du quartier de Prenzlauer Berg et surtout le Nicolaiviertel et la Nikolaikirche facilement reconnaissable à son double-clocher. Toutes ces festivités et reconstructions ont un coût difficilement supportable pour la RDA alors que le régime avait négocié au début des années 1980 des lignes de crédit auprès de Land de Bavière. Le marché dit « historique » est pour une grande partie des citoyens est-allemands symptomatique d’une époque où toutes les ressources sont drainées par la capitale au détriment des autres villes et régions du pays.



De leur côté, les autorités de Berlin-Ouest ont longtemps voulu s’appuyer sur les festivités de ces 750 ans pour mettre en exergue les liens entre les deux parties de la ville qui persistaient au-delà du mur. Berlin devait afficher son unité et ne faire qu’une. Ces tentatives de rapprochement, à l’initiative de la partie ouest, se sont pour la plupart révélées être des échecs. On rappellera tout de même les premières rencontres furtives entre les maires Eberhard Diepgen (ouest) et Erhard Krack (est) dans les églises Gethsemane-Kirche et Marienkirche en février et octobre.   

Comme à l’est, les 750 ans ont accéléré de nombreux travaux qui ont permis de mettre à nouveau en valeur les parties les plus centrales de Berlin-Ouest. Ainsi, le Martin-Gropius-Bau a été réouvert à l’occasion de l’exposition sur les 750 ans de la ville : l’histoire de Berlin y est présentée comme vertigineuse dans ses ascensions comme dans ses chutes. En cette même année 1987 est inauguré, en face du Martin-Gropius-Bau, le complexe de la topographie de la terreur là où se trouvaient les services de la Gestapo et d’autres organes de sécurité du régime nazi. Enfin, est posée la première pierre de ce qui devait devenir le musée historique allemand face au Reichstag avant que celui-ci ne trouve place sur Unter den Linden et ne remplace le musée  de l’histoire allemande après la réunification. Par ailleurs, il était devenu hors de question d’organiser à nouveau des défilés ou encore des manifestations dans l’enceinte du stade olympique tant ces événements étaient associés dans leur forme et leur esprit au totalitarisme nazi.  A la place ont par exemple eu lieu des rassemblements  non loin de la Colonne de la victoire ou des rencontres nautiques avec des navires venus de toute l’Europe de l’ouest.

Comme à l’est, les festivités ont eu un retentissement international avec la visite de nombreux chefs d’Etat étrangers. On retiendra plus particulièrement celle du Président des Etats-Unis Ronald Reagan en juin 1987.  Si la convergence des festivités des 750 ans et de la visite d’Erich Honecker à Bonn a permis l’émergence de nouvelles formes de contestation à l’est comme par exemple l’exposition photographique « Ost-Berlin- Die andere Seite einer Stadt » d’Harald Hausewald et Lutz Rathenow dans la zionkirche de Prenzlauer Berg, il en est de même à l’ouest. Ainsi, l’année 1987 marque le début des émeutes du 1er mai dans le quartier de Kreuzberg qui est coupé de Berlin-ouest au moment de la visite de Ronald Reagan en juin au point que certains de ses habitants se sentent emmurés au sein de ce qui devait être un îlot de liberté en pleine zone communiste.


Au final, l’année 1987 apparaît rétrospectivement comme une année charnière. Certes, la descente ratée de la Stasi dans les locaux de la Umwelt-Bibliothek où était publié le journal Grenzfall ou l’apparition de portraits de Gorbatchev lors des défilés du 1er mai ne pouvaient à elles-seules préfigurer de la chute du mur.  De nombreux observateurs voyaient ainsi dans la consécration de Berlin en tant que capitale européenne de la culture pour 1988 l’événement le plus important de la fin du vingtième siècle dans la ville. Il n’en reste pas moins que ces événements cristallisés autour des célébrations du 750ème anniversaire constituaient les prémisses de changements à venir.  

samedi 24 août 2013

Emmanuel Droit - Vers un homme nouveau

Novembre 2009
Presses Universitaires de Rennes
A la suite de la seconde guerre mondiale, l’école est plus que jamais en RDA un réceptacle cristallisant les objectifs politiques et sociaux d’un Etat nouvellement créé à la recherche de stabilité et de pérennité. A travers une démarche socio-historique s’appuyant sur différents types d’archives, de photos et de témoignages, Monsieur Emmanuel Droit a ainsi analysé l’environnement scolaire de la RDA en tant que « creuset d’un homme nouveau ». Le terme allemand « Bildung » englobe surtout le développement d’un individu. En effet, si la pédagogie d’Allemagne de l’Est se place dans la continuité de la tradition humaniste allemande, elle se réclame progressivement de la pensée soviétique en la matière, elle-même influencée par la pédagogie réformée. A l’image de la démarche entreprise par Célestin Freinet dans son école de Vence dans les Alpes-Maritimes, il s’agit d’éveiller l’enfant à l’éducation du travail. Cette philosophie va connaître en RDA une certaine inflexion à travers la valorisation du travail industriel. L’amour du travail et surtout le lien entre éducation et travail dit « productif » sont au cœur de la définition du système polytechnique d’éducation dans la loi de décembre 1959. Pour autant, l’introduction de ce système a aussi eu de nombreuses conséquences sur l’enseignement des sciences humaines comme l’histoire dont les programmes font l’objet de fréquentes modifications retranscrites dans les manuels diffusés par l’éditeur Volk und Wissen.

A la fin de la guerre,  le corps enseignant est constitué à 90% d’instituteurs ou institutrices exerçant dans les écoles primaires. 60 % sont des femmes et 55 % ont moins de 35 ans. L’inexpérience de nombreux de ces « Neulehrer » est donc un élément important à prendre en compte. Parallèlement, les lycées représentent encore un miroir inversé par rapport au primaire. Les enseignants y sont nettement plus âgés (sortis de leurs retraites après avoir exercé sous la République de Weimar) et les hommes sont très majoritairement représentés. De même, si l’école doit servir la diffusion de l’idéologie socialiste et le recrutement de membres des organisations de jeunesse (jeunes pionniers ou membres de la Freie Deutsche Jugend- FDJ), le corps enseignant est aussi concerné avant l’édification du mur par l’immigration à l’ouest de certains de ces membres. Pour les régions les plus touchées, le nombre de défections est estimé à 2% des effectifs par an.

Après cette analyse du corps enseignant, l’auteur se penche sur les autres types d’acteurs qui occupent le champ scolaire. Les conseils de parents d’élève servent ainsi à l’interaction des familles et du monde éducatif. Même si le Parti Socialiste Unifié Allemand y a renforcé son influence à partir du milieu des années 1950, ceux-ci se sont d’abord consacrés au traitement de questions plus matérielles qu’idéologiques. Les enseignants ressentent de façon beaucoup plus pressante la concurrence des fonctionnaires des organisations de jeunesse. A Berlin, le recrutement  se fait plus lentement que dans le reste du pays jusqu’à la fin des années 1950 que cela soit pour les jeunes pionniers de 6 à 14 ans ou les membres des FDJ. Les fonctionnaires permanents se sentent mis de côté à tel point que l’inspection académique doit appeler à une bonne entente entre les parties. Enfin, les autorités est-allemandes organisent un système de parrainage entre les écoles et les entreprises. Les premières citées bénéficient d’avantages matériels et de dons en nature. En échange, elles prêtent leur concours à l’organisation de manifestations dans les entreprises qui les parrainent.

Le traitement du thème de la « Jugendweihe », qui désigne pour les jeunes de 14 ans le rite d’intégration à la patrie socialiste, illustre particulièrement bien l’école historique à laquelle appartient Monsieur Emmanuel Droit. Alors que ce rite, en s’appuyant sur l’école comme lieu de préparation, entend concurrencer la Confirmation de l’Eglise protestante, l’auteur met en garde contre une vision trop totalitariste de l’histoire qui ne ferait des individus que de simples réceptacles passifs de l’idéologie propagée par les tenants du pouvoir. Au contraire, les Allemands de l’Est s’adaptent, se comportent en caméléons et apprennent à faire semblant. La même attitude prévaut à l’égard des Russes alors que le désir de réunification avec l’autre Allemagne reste toujours présent dans les esprits.

D’autres éléments de la première partie du livre consacrée à l’école d’un type nouveau méritent tout particulièrement d’être évoqués comme l’esprit de corps naissant parmi les organisations de jeunesse qui, d’abord minoritaires, adoptent un comportement d’avant-garde politique et se singularisent par le port du foulard bleu autour du cou pour les pionniers ou la chemise de même couleur pour les membres de la FDJ. Enfin, l’école devient à la fin des années 1950, un lieu névralgique de la lutte contre l’influence culturelle occidentale à travers les bandes dessinées. Sont mis en place des inspections de cartables ainsi que des échanges de bandes-dessinées contre des livres de jeunesse d’URSS.

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la stabilisation de l’école socialiste après notamment l’édification du mur en août 1961. De façon générale, celle-ci est marquée par un mouvement de féminisation et de professionnalisation du personnel enseignant. Malgré une politique de discrimination positive, les lycées ou « Erweiterte Oberschule EOS » restent d’accès très difficile pour les enfants d’ouvriers productifs en usine (11 % des lycéens). La sélection est telle que seulement deux élèves par classe sont sélectionnés. Pour contourner ces blocages sociaux, les familles émettent des requêtes ou « Eingaben » pour lesquels la maîtrise des Habitus administratifs est une condition essentielle de succès.

Les rapports entre les élèves et les différents intervenants sur le champ scolaire se stabilisent également. Les taux de participation aux organisations de jeunesse (plus de 90 % à la fin des années 1970) et à la Jugendweihe, à l’exception les familles de pasteurs, sont en très nette augmentation. Mais ces statistiques peuvent être trompeuses car elles ne rendent pas compte d’une certaine dilution idéologique ou au contraire d’une réappropriation de la part de familles. Si le système de parrainage entre écoles et entreprises est approfondi avec l’objectif de faire des élèves des membres à part entière de l’appareil productif, ces derniers restent quelque peu à l’écart des principales chaînes de production. Un contrat est néanmoins signé entre l’école et son entreprise marraine. Surtout, des journées de cours productifs sont introduites dans les programmes scolaires.

Sur le plan des programmes, le régime de RDA affiche sa foi dans la révolution technologique et scientifique. Le poids des disciplines scientifiques et technologiques est considérablement renforcé dans les programmes scolaires. Des écoles spéciales regroupant les meilleurs élèves par discipline sont créées. Les équipes du pays obtiennent de nombreuses récompenses aux olympiades de mathématiques.

Au-delà de cette apparente stabilisation, l’école ne permet pas à la RDA de gagner les cœurs d’une partie importante de sa population. Même si la nationalité est-allemande est depuis 1967 la seule reconnue en RDA, l’attachement social à cette dernière  n’empêche pas de considérer la RFA comme la société de référence.

Il existe d’ailleurs une catégorie juridique aux contours flous permettant d’incriminer les jeunes regroupés en bandes et qui se caractérisent par des comportements excentriques sous l’influence de la culture occidentale : Rowdytum.

Pendant les cours d’éducation civique, les réformes constitutionnelles successives sont souvent perçues par les élèves comme des obstacles à une réunification éventuelle. L’auteur parle très justement, à propos d’une partie importante de la jeunesse, de « transfrontaliers idéologiques ».

Le champ scolaire n’est pas seulement occupé par les parents, les organisations de jeunesse ou les entreprises. Il l’est aussi par l’armée nationale populaire (NVA) ou d’autres organisations de type paramilitaire. La NVA doit ainsi participer au renforcement d’un sentiment d’appartenance nationale. A partir de 1952, la GST (Gesellschaft für Sport und Technik) donne la possibilité aux élèves de participer à des activités d’orientation, à des sports mécaniques ou aéronautiques. Une nouvelle date est ajoutée au calendrier socialiste : le 1er mars est fêtée la NVA. Les manœuvres des pionniers sont instaurées à partir de 1967. Des cours théoriques et des stages pratiques permettent d’avoir une première expérience de la vie de caserne. Surtout, la présence de l’armée à l’école doit permettre de recruter les futurs officiers, même parmi les élèves qui n’auraient pu accéder au lycée sans leurs aspirations militaires.

Le chapitre sur la Stasi à l’école allait être développé dans un livre déjà résumé sur ce blog. L’évolution des missions confiées à la Stasi devait faire de cette dernière une instance éducative à part entière. L’éducation par la société, la pression des pairs doit se substituer à la seule contrainte. Comme le démontre par exemple la lecture des mémoires des étudiants de l’école de droit de Potsdam, qui dépend de la Stasi, les futurs agents se considèrent comme des travailleurs ou des redresseurs sociaux.

Dans ce chapitre, il est très intéressant de lire les précisions sur les profils recherchés par les agents recruteurs de la Stasi : la sociabilité et les résultats scolaires sont parmi les facteurs les plus importants.

Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à l’effondrement du système éducatif est-allemand, à l’image de Margot Honecker, ministre de l’éducation nationale, qui ignore les différents rapports appelant à la libéralisation du système éducatif et à sa dépolitisation. Le récit concernant le tableau mural du lycée Carl von Ossietzky de Pankow où les élèves sont invités à commenter l’actualité est particulièrement éclairant. Il en est de même de la perception par les élèves de la chute du mur, des réactions des enseignants face aux bouleversements subis par leur environnement professionnel ou encore de la volonté de ces mêmes élèves de participer à l’élaboration des nouvelles règles devant régir la vie scolaire.   

samedi 20 juillet 2013

Bruce Springsteen- Rocking the wall- The Berlin Concert that changed the World

Erik Kirschbaum
2013- 136 pages
Editions Berlinica
Le concert de Bruce Springsteen à Berlin-Est le 19 juillet 1988 a pu être organisé alors même que les différentes parties prenantes avaient pourtant des objectifs quelque peu divergents. Pour le musicien américain, il s'agissait de concrétiser un projet qui lui tenait à coeur depuis sa première visite de l'autre côté du mur en 1981. Pour le régime de la RDA, il devenait urgent d'adopter une attitude plus conciliante envers la musique venue de l'ouest et les attentes que celle-ci cristallisait auprès de la jeunesse de la RDA. 

Face à l'organisation de jeunesse de l'Etat est-allemand (Freie Deutsche Jugend ou FDJ) s'était développée une contre-culture qui puisait de nombreuses références dans le rock anglo-saxon. Ainsi, Erik Kirschbaum rappelle la rumeur selon laquelle les Rolling Stones devaient jouer en avril 1969 sur le toit de l'immeuble de l'éditeur de presse Axel Springer non loin de Checkpoint Charlie. Plusieurs milliers de jeunes s'étaient ainsi massés en vain auprès du mur.

Après une période de stabilisation de la RDA et de décrispation, plusieurs groupes se sont vus interdire d'antenne pour des textes jugés trop critiques à l'égard du régime comme par exemple Klaus Renft Combo au milieu des années 1970. Une décennie plus tard, la situation était encore bien plus tendue. Sur fond de crise économique, de manque de devises fortes et de dettes, la RDA faisait preuve de réticences quant à la politique de Glasnost et de Perestroika insufflée par Michael Gorbachev. 

En 1987, pour célébrer les 750 ans de la création de Berlin, les deux parties de la ville ont organisé des festivités le plus souvent concurrentes. A proximité immédiate du Reichstag, à Berlin-Ouest, se sont ainsi tenus plusieurs concerts pour Berlin avec la participation de Genesis ou encore Eurythmics. Ces derniers ont provoqué des rassemblements de foule et plus encore des affrontements avec la police à Berlin-Est avec plus de 200 arrestations. Alors que d'autres concerts à risque se profilaient à l'été 1988 avec l'arrivée par exemple de Michael Jackson à Berlin-Ouest, il était devenu urgent pour les autorités de Berlin-Est de réagir.

A l'initiaitive de la FDJ, plusieurs concerts ont été organisés pour proposer à la jeunesse de l'Allemagne de l'Est une offre concurrente à ce qu'elle était tentée d'aller chercher trop près du mur. Après le canadien Bryan Adams, Bruce Springsteen a donc été sondé pour savoir s'il accepterait de donner un concert à l'Est. 

Si un accord a vite été trouvé, tout aurait pu être remis en cause par la coloration politique que les dirigeants du parti socialiste unifié (SED) ont voulu donner à la manifestation. Alors que B. Springsteen ne prétendait à rien d'autre qu'à faire de la musique, le concert était devenu pour certains un instrument de soutien au Nicaragua des Sandinistes. Après le retrait des pancartes et affiches incriminées la veille, le concert a pu se tenir. Pendant plus de 4 heures, B. Springsteen a pu forger une relation toute particulière avec son public d'un soir agitant des drapeaux américains assemblés pour l'occasion.  Souhaitant en allemand la fin des barrières, il ne se doutait pas que le public est-allemand connaissait aussi bien les paroles de ses chansons. 

La thèse de l'auteur est que ce concert, en ayant des conséquences totalement opposées à celles espérées par le régime de la RDA, a participé à la chute du mur 16 mois après, le 9 novembre 1989. Certains rapprochements sont en effet très tentants : comme la police aux frontières a laissé passer la foule sur le pont de la Bornholmer Strasse, les organisateurs ont renoncé à filtrer les entrées à l'entrée du concert qui a renforcé chez de nombreux spectateurs une volonté de changement qui allait déjà en se développant. 






samedi 6 juillet 2013

Simon Schwartz - Drüben

118 pages
avant-verlag Editions
Cinquième édition 2013
Parue une première fois en 2009 à l'occasion du vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, cette bande-dessinée est une oeuvre de fin d'étude. La présente réédition reprend de larges extraits d'un entretien accordé par l'auteur en juillet 2010 au cours duquel ce dernier revient sur ses recherches, ses souvenirs étonnement précis pour un petit garçon, son style graphique ou encore sur ses choix quant à l'organisation chronologique de sa bande dessinée. 

Drüben, c'est-à-dire de l'autre côté, permet à l'auteur de revenir sur des événements et sur des choix qui ont marqué l'histoire de sa propre famille. Simon Schwartz est en effet né en 1982 dans le Land de Thuringe. Alors que ses grands-parents paternels étaient, avant la seconde guerre mondiale, membres du Parti Communiste (KPD), la famille de sa mère entretenait de nombreux contacts avec des parents vivant en Allemagne de l'Ouest. Ces différences expliquent en grande partie pourquoi les parents de Simon réagissent différemment quand certains de leurs amis déposent dans la seconde moitié des années 1970 des demandes officielles pour pouvoir quitter définitivement le territoire de la RDA et aller s'installer à l'ouest. Quand la mère se décide la première à partir, le père semble d'abord peu enclin à la suivre. 

Son état d'esprit va grandement évoluer quand, alors qu'il est enseignant, on lui demande de justifier l'intervention soviétique en Afghanistan devant certains de ses élèves. Alors qu'il lui est difficile de trouver de tels arguments, on lui tend un discours déjà préparé à cet effet. L'émigration s'impose alors comme une évidence pour le couple et son enfant même si cette demande a naturellement de graves conséquences pour la famille. Ainsi, le père ne peut plus travailler et devient un suspect désigné auprès des autorités et de la police. Dans le même temps, son épouse, restauratrice pour une église, est victime de menaces et d'intimidations. 

En 1984, la demande d'émigration de la famille aboutit enfin. Après avoir passé la frontière à la gare de la Friedrichstrasse, la famille s'installe dans le quartier de Kreuzberg à Berlin-Ouest situé tout juste de l'autre côté du mur.

Les aspects personnels et familiaux de cette bande dessinée sont les plus touchants. Très simplement, l'auteur illustre comment des différences idéologiques ont provoqué une fracture profonde au sein de sa famille. Alors qu'il a toujours maintenu des contacts réguliers avec ses grands-parents maternels, Simon n'a revu ses grands-parents paternels qu'après la réunification. La bande-dessinée débute par la première lette de son père aux grands-parents depuis son départ pour Berlin-Ouest et Kreuzberg trois ans auparavant. La seconde page se termine par une vignette signalant le refus de ces derniers de reprendre contact avec leur fils. Pour autant, le travail de Simon Schwartz dans cette bande-dessinée démontre que cette rupture n'était pas définitive.