samedi 28 décembre 2013

Wer jung ist, liest die Junge Welt - Die Geschichte der auflagenstärksten DDR-Zeitung

Michael Meyen, Anke Fiedler, Ch. Links, 279 pages (2013).



Après sa création en mars 1946, l’organisation de la jeunesse libre allemande (Freie Deutsche Jugend ou FDJ) va rapidement pouvoir s’appuyer sur son propre organe de presse. En février 1947, sort en effet le premier numéro du journal intitulé « Die junge Welt » édité d’abord une fois par semaine, tous les mercredis. Cinq ans plus tard, le même journal se fait quotidien. Son tirage augmente régulièrement : de plus de 250000 au début des années 1960, il passe à 500000 exemplaires en 1971 et dépasse le chiffre de 1,5 million à la fin des années 1980 (bien plus que l’organe officiel du SED le Neues Deutschland). A son apogée, même s’il ne comportait généralement que 8 pages, le journal employait 100 personnes. La disparition des subventions dont  bénéficie le titre et la fin de la RDA vont avoir des conséquences drastiques sur ce dernier : à l’automne 1990, le nombre d’exemplaires tombe à 200000 puis diminue encore de moitié quelques mois plus tard. Aujourd’hui, il est toujours possible de trouver le journal qui revendique un tirage quotidien d’environ 20000 exemplaires et de 40000 à 50000 lecteurs, pour la plupart des abonnés.

A travers une étude qualitative de ce journal si étroitement lié à la RDA, les deux auteurs Michael Meyen et Anke Fiedler veulent prendre leur distance avec des semi-vérités sans pour autant tomber dans une certaine complaisance avec le régime de la RDA. Par exemple, si le journal consacre de nombreuses pages à des compte-rendus de nature politique, ses journalistes restent attachés à leurs particularités dans le traitement de certains sujets comme la page des sports, les conseils donnés aux lecteurs dans la vie de tous les jours ou encore les enquêtes menées auprès de ces derniers. De même, si le journal a pu offrir de grandes possibilités de carrière et d’ascension sociale à des individus sans formation préalable aux métiers du journalisme, le parcours des journalistes se professionnalisait en même temps que les liens les unissant au SED (Parti socialiste unifié allemand) évoluaient.

Le journal « Junge Welt » s’est tout de suite considéré comme un instrument de sensibilisation et de mobilisation au profit de la RDA. Le 12 octobre 1949 est ainsi célébrée la naissance de la RDA perçue comme la renaissance de la Nation Allemande dans un article rédigé par Erich Honecker. De la même façon, le journal a pendant un temps porté les insignes de plan quinquennaux comme il a loué en 1948 les exploits d’Adolf Hennecke, le mineur dont la production journalière a atteint 387 % des quotas demandés. En juin 1953, le journal raconte comment sa rédaction a échappé à l’action revancharde des contre-révolutionnaires et en août 1961 comment la construction du mur a participé à la protection de la paix. Quelques années plus tard, il consacre de nombreuses colonnes aux membres de la FDJ qui montent sur les toits pour tordre les antennes de télévision pointées vers l’ouest. Au cours des années 1970, le journal va ainsi prendre la tête de campagnes en faveur du Parti Communiste Chilien ou encore d’Angela Davis jusqu’à l’accueillir à Berlin après sa libération de prison.

Au-delà de ces engagements partisans sans surprise, ce qui a fait la particularité du journal « Junge Welt » sont des rubriques correspondant aux attentes d’un public jeune dans les années 1970 comme « Unter vier Augen » ou « entre quatre yeux » sous la direction de Jutta Resch-Treuwerth traitant des questions intimes de l’adolescence ou bien la rubrique « Hand aufs Herz » où la rédaction demandait l’avis des lecteurs sur des sujets sociaux ou politiques. L’avis des lecteurs était plus fréquemment demandé que dans n’importe quel autre journal de RDA, par exemple pour remettre le titre de sportif de l’année (par exemple en 1987 à la patineuse Katarina Witt).

Le sport était certainement le domaine où la rédaction du journal s’octroyait la marge de manœuvre la plus grande comme le démontre le traitement de la controverse entourant les décisions arbitrales contestées au milieu des années 80 en faveur du club du Dynamo Berlin présidé par Erich Mielke, le chef de la stasi. Alors que les journalistes sportifs de télévision s’en tenaient à des données minimalistes et purement factuelles quand ils relataient les actions des sportifs de l’Allemagne de l’Ouest, ceux du « junge welt » pouvaient recueillir les propos de Boris Becker dans un entretien approfondi. Pour autant, même dans cet espace de liberté relative que restait le sport, il n’était pas question pour le journal de remettre en cause une des vitrines du régime. L’opprobre jeté par le journal sur les sportifs passés à l’ouest à l’origine des premières révélations de dopage systématique en RDA est ici très significatif.

Le dernier chapitre de l’ouvrage, précédant un rappel chronologique des grands événements de la vie du « Junge Welt », est consacré au lectorat du journal. Dans un pays où les ménages lisent en moyenne 1,5 quotidien par jour, être abonné ne signifie pas pour autant adhérer sans réserve aux idées et thèses qui y sont exprimées. En réalité, le taux de pleine satisfaction vis-à-vis d’un journal correspond, selon les auteurs, au taux de pleine adhésion à la politique conduite par les autorités de la RDA (soit environ 25 % de la population). Néanmoins, pour une part importante des lecteurs, la relation avec le journal peut être très étroite. Cette proximité s’explique en partie parce que « Die junge Welt » coopère avec l’institut de sondage basé à Leipzig pour proposer dans certaines de ses rubriques le contenu attendu de la part de ses lecteurs. Cette proximité peut prendre également d’autres formes.  En effet, la rédaction du journal se substitue dans l’esprit de certains aux autorités publiques quand il s’agit d’exprimer des doléances ou des requêtes (Eingaben). De même, il arrive aux journalistes d’intercéder auprès des autorités compétentes afin de venir en aide à un lecteur qui s’est signalé auprès d’eux. Le courrier des lecteurs est donc un indicateur très fiable de l’état d’esprit de la population, à tel point que la Stasi relève en juin 1988 que le ton employé est de plus en plus vindicatif et que les critiques vis-à-vis des autorités comme des journalistes sont chaque jour plus franches et ouvertes.

L’ouvrage de Michael Meyen et Anke Fiedler analyse en profondeur l’histoire du journal « Die junge Welt » dans un style proche du récit historique qui permet de mêler entretiens, témoignages et documents photographiques.

jeudi 5 décembre 2013

Party, Pomp und Propaganda - Die Berliner Stadtjubiläen 1937-1987

Krijn Thijs, 128 Pages, NICOLAI - 2012





















L’ouvrage « Party, Pomp und Propaganda » a été publié au moment où Berlin célébrait le 775ème anniversaire de sa fondation, au cours de l’année 2012. A travers plusieurs grands thèmes comme Berlin au Moyen-Age ou Berlin ville de la multiplicité et de la diversité, il importait pour la ville de fêter son unité retrouvée de façon apaisée et consensuelle.








En effet, le premier jubilé de la ville a été célébré en 1937 alors que les nazis avaient fait de Berlin la capitale du Troisième Reich dont il importait alors de faire oublier les origines slaves. Cinquante ans plus tard, Berlin Ouest et Berlin Est célèbrent les 750 ans de la ville dans des conditions bien différentes.

La ville de Berlin trouve ses origines dans la fusion de deux établissements marchands de part et d’autre de la Spree, Berlin et Cölln. Si la première mention écrite de Berlin date de 1244, celle de Cölln est plus ancienne et remonte à1237. Puisque les deux villes ont fusionné en 1307 pour constituer le noyau du futur grand Berlin, c’est bien 1237 qui a été retenue comme date de fondation de Berlin.

En 1937,  trois hommes étaient principalement en charge de faire de Berlin la capitale d’un Empire qui devait durer 1000 ans : Julius Lippert (devenu maire après une purge) mais aussi et surtout Joseph Goebbels ( Gauleiter) et Albert Speer (Generalbauinspektor für die Hauptstadt). Krijn Thijs rappelle avec justesse les faits marquants de cette célébration des 700 ans : l’absence d’Adolf Hitler, le défilé de chars de fleurs (avec la participation d’entreprises alors récemment aryanisées comme la marque de chaussure Leise), le cortège parti du site de l’actuelle gare centrale jusqu’au quartier de Treptow. Un an après les jeux olympiques, le stade allait servir de cadre à plusieurs manifestations comme les compétitions du Reich ou encore l’ensemble de chorégraphies appelé « Berlin à travers 700 ans d’histoire allemande ». L’exaltation des origines germaniques de Berlin par opposition à ses origines slaves va de paire avec la mise en avant du « vieux Berlin » avec des manifestations en costume d’époque et des reconstitutions de batailles entre quartiers. En 1937, des recherches archéologiques ont par ailleurs été entreprises à Kablow pour démontrer la prépondérance de Berlin en tant que lieu de peuplement germanique.

En 1987, Berlin célèbre son anniversaire dans un climat de rivalité représentatif de la guerre froide. Alors que les manifestations de 1937 ont un caractère purement local, celles de 1987 avaient à Berlin-Est un caractère national. Le jubilé de 1987 devait servir à conforter la légitimité internationale de la RDA dans son ensemble. Ainsi, Berlin a vu se réunir en mai 1987 les chefs d’Etat du Pacte de Varsovie. Un défilé a eu lieu le 4 juillet entre Unter den Linden et la Karl-Marx-Allee pour retracer en quelques 291 images l’histoire de Berlin dans laquelle la formation de la République Démocratique Allemande (RDA) tient une place essentielle à travers la naissance de la classe ouvrière. D’un point de vue architectural, les 750 de Berlin ont accéléré la reconstruction de plusieurs quartiers historiques de l’est de Berlin à l’image de la « Platz der Akademie », l’actuelle Gendarmenmarkt, certaines rues du quartier de Prenzlauer Berg et surtout le Nicolaiviertel et la Nikolaikirche facilement reconnaissable à son double-clocher. Toutes ces festivités et reconstructions ont un coût difficilement supportable pour la RDA alors que le régime avait négocié au début des années 1980 des lignes de crédit auprès de Land de Bavière. Le marché dit « historique » est pour une grande partie des citoyens est-allemands symptomatique d’une époque où toutes les ressources sont drainées par la capitale au détriment des autres villes et régions du pays.



De leur côté, les autorités de Berlin-Ouest ont longtemps voulu s’appuyer sur les festivités de ces 750 ans pour mettre en exergue les liens entre les deux parties de la ville qui persistaient au-delà du mur. Berlin devait afficher son unité et ne faire qu’une. Ces tentatives de rapprochement, à l’initiative de la partie ouest, se sont pour la plupart révélées être des échecs. On rappellera tout de même les premières rencontres furtives entre les maires Eberhard Diepgen (ouest) et Erhard Krack (est) dans les églises Gethsemane-Kirche et Marienkirche en février et octobre.   

Comme à l’est, les 750 ans ont accéléré de nombreux travaux qui ont permis de mettre à nouveau en valeur les parties les plus centrales de Berlin-Ouest. Ainsi, le Martin-Gropius-Bau a été réouvert à l’occasion de l’exposition sur les 750 ans de la ville : l’histoire de Berlin y est présentée comme vertigineuse dans ses ascensions comme dans ses chutes. En cette même année 1987 est inauguré, en face du Martin-Gropius-Bau, le complexe de la topographie de la terreur là où se trouvaient les services de la Gestapo et d’autres organes de sécurité du régime nazi. Enfin, est posée la première pierre de ce qui devait devenir le musée historique allemand face au Reichstag avant que celui-ci ne trouve place sur Unter den Linden et ne remplace le musée  de l’histoire allemande après la réunification. Par ailleurs, il était devenu hors de question d’organiser à nouveau des défilés ou encore des manifestations dans l’enceinte du stade olympique tant ces événements étaient associés dans leur forme et leur esprit au totalitarisme nazi.  A la place ont par exemple eu lieu des rassemblements  non loin de la Colonne de la victoire ou des rencontres nautiques avec des navires venus de toute l’Europe de l’ouest.

Comme à l’est, les festivités ont eu un retentissement international avec la visite de nombreux chefs d’Etat étrangers. On retiendra plus particulièrement celle du Président des Etats-Unis Ronald Reagan en juin 1987.  Si la convergence des festivités des 750 ans et de la visite d’Erich Honecker à Bonn a permis l’émergence de nouvelles formes de contestation à l’est comme par exemple l’exposition photographique « Ost-Berlin- Die andere Seite einer Stadt » d’Harald Hausewald et Lutz Rathenow dans la zionkirche de Prenzlauer Berg, il en est de même à l’ouest. Ainsi, l’année 1987 marque le début des émeutes du 1er mai dans le quartier de Kreuzberg qui est coupé de Berlin-ouest au moment de la visite de Ronald Reagan en juin au point que certains de ses habitants se sentent emmurés au sein de ce qui devait être un îlot de liberté en pleine zone communiste.


Au final, l’année 1987 apparaît rétrospectivement comme une année charnière. Certes, la descente ratée de la Stasi dans les locaux de la Umwelt-Bibliothek où était publié le journal Grenzfall ou l’apparition de portraits de Gorbatchev lors des défilés du 1er mai ne pouvaient à elles-seules préfigurer de la chute du mur.  De nombreux observateurs voyaient ainsi dans la consécration de Berlin en tant que capitale européenne de la culture pour 1988 l’événement le plus important de la fin du vingtième siècle dans la ville. Il n’en reste pas moins que ces événements cristallisés autour des célébrations du 750ème anniversaire constituaient les prémisses de changements à venir.