dimanche 7 mars 2010

Les Alliés et la Culture-- Berlin 1945-1949


Bernard Genton
PUF- Politique d'aujourd'hui
451 Pages- 1998

Entre 1945 et 1949, les rapports entre alliés vont changer de nature. La volonté de coopérer née à la fin de la guerre se dissipe après quelques mois. D'abord latent, l'affrontement se fait de plus en plus direct. Les Russes quittent le Conseil de Contrôle, l'instance quadripartite en charge de l'ensemble de l'Allemagne, en mars 1948. Ils font de même en juin pour la Kommandatura, compétente pour la ville de Berlin. A l'hiver 1946-1947, se met en place la bizone. En 1948, la réforme monétaire sert de prétexte au blocus de la partie ouest de la ville. L'échec de ce dernier accélère la partition de l'Allemagne en deux Etats séparés.


A la chute de Berlin en mai 1945, les troupes soviétiques se rendent maîtres de la ville. Les alliés, en premier lieu britanniques et américains, ne seront sur place que deux mois plus tard. A ce stade, les alliés tombent d'accord pour laisser en l'état ce qui a été mis en place par l'armée rouge. Les observateurs de toutes tendances parleront de "printemps culturel" pour saluer notamment l'action de Nicolas Bersarine en matière culturelle. Les alliés anglo-saxons ont eu davantage de difficultés à appréhender la dimension politique de toute action culturelle. Pour les Etats-Unis, par exemple, le revirement se fera pleinement à l'été 1947. Derniers arrivés, les représentants français se heurteront le plus souvent aux réticences des autres alliés et ne parviendront pas à faire valoir leurs points de vue. Bernard Genton détaille à cet égard les cas de la colonne de la victoire ou de l'exposition sur les crimes hitlériens. La Siegessäule ne sera pas détruite alors que l'exposition sur les crimes ne verra jamais le jour.


L'auteur évoque les cas de Wilhelm Furtwängler (chef d'orchestre) et de Gustav Gründgens (metteur en scène) en matière de dénazification. La bataille se fait presque à front renversé car les Américains se montrent ici les plus exigeants.


L'activité cinématographique était en vogue pendant la guerre. Pour l'année 1945, 72 films avaient été prévus. La société UFA (Universum Film Aktien Gesellschaft) avait fusionné avec d'autres producteurs et en 1939 la ville de Balbelsberg avait été intégrée à celle de Potsdam.


Au sortir de la guerre, les alliés avaient interdit toute activité économique en matière cinématographique. Ils ont ensuite organisé des opérations de "screening" visant à vérifier le passé de tout intervenant potentiel dans le domaine du cinéma.


"Les meurtriers sont parmi nous" est le premier film produit à Berlin après la fin de la guerre. Il vient de la DEFA (Deutsche Film AG), la société de production mise en place par les soviétiques. Les Américains hésitent entre plusieurs options possibles. L'échec de la politique de culpabilisation symbolisée par le film "les moulins de la mort", un documentaire sur les camps de la mort, les poussent à modifier leur politique. Il s'agira dorénavant de divertir en projetant une image positive des Etats-Unis.


Les films soviétiques, jugés beaucoup trop politisés, seront toujours boudés par le public berlinois. Il en sera de même pour les pièces de théâtre comme celle de Constantin Simonov, "la question russe", qui tente d'opposer deux Amériques bien opposées (celle des arrivistes face à celle de Lincoln).


Ce qui marque dans le livre de Bernard Genton, c'est la capacité du public berlinois à s'approprier certaines des oeuvres qui lui sont présentées. C'est par exemple le cas de la pièce de Thornton Wilder "the color of our teeth" où les héros vivent d'éternels recommencements en puisant dans les arts ou les véritables valeurs humaines ou de celle de Jean Anouilh "Antigone".


Le problème est quelque peu différent en ce qui concerne la pièce de Jean-Paul Sartre "les Mouches" montée par Jürgen Fehling. Alors que la mise en scène est applaudie, le texte est critiqué. Même s'il a donné lieu à des discussions intéressantes sur le thème du repentir, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ne conservent pas un grand souvenir de leur voyage à Berlin entre janvier et février 1948. Pour la France, il s'agissait surtout de redorer son image comme lors d'une exposition consacrée à la peinture moderne dès 1946.


Alors que chacune des puissances alliées bâtit sa propre maison de la culture, l'action culturelle des alliés prend une toute autre signification au moment du blocus de Berlin entre juin 1948 et mai 1949. A travers celle-ci, les alliés réaffirment de façon très symbolique qu'ils ne quitteront pas Berlin.


Melvin Lasky, apparu au congrès des écrivains allemands en 1947, a encore l'occasion de rapprocher fascisme et communisme dans la revue culturelle d'inspiration américaine "Der Monat" qui décline toutes les variantes du libéralisme tout en s'opposant de façon catégorique au fascisme. Cette revue fait une grande place à des socialistes repentis comme Arthur Koetsler l'auteur du roman "Le Zéro et l'infini" ou "Darkness at Noon" en version originale dénonçant les procès de Moscou des années 1930.


Il en est de même pour les britanniques qui s'investissent pleinement dans le festival élisabéthain et qui font venir des philosophes prestigieux comme Bertrand Russell ou des poètes comme TS Eliot.


Enfin, Berlin sera le réceptacle de la controverse sur le statut et les droits de la population noire aux Etats-Unis à l'occasion de la publication d'une anthologie consacrée à la poésie noire américaine du côté soviétique. Alors que les autorités soviétiques et est-allemandes se plaisaient à insister sur ce point (voir par exemple la rue Paul Robeson à Prenzlauer Berg ou les manifestations en faveur d'Angela Davis toujours à Berlin-est), la guerre froide aura au moins accéléré les efforts d'intégration aux Etats-Unis.