Novembre 2009 Presses Universitaires de Rennes |
A la suite de la seconde guerre
mondiale, l’école est plus que jamais en RDA un réceptacle cristallisant les
objectifs politiques et sociaux d’un Etat nouvellement créé à la recherche de
stabilité et de pérennité. A travers une démarche socio-historique s’appuyant
sur différents types d’archives, de photos et de témoignages, Monsieur Emmanuel
Droit a ainsi analysé l’environnement scolaire de la RDA en tant que
« creuset d’un homme nouveau ». Le terme allemand
« Bildung » englobe surtout le développement d’un individu. En effet,
si la pédagogie d’Allemagne de l’Est se place dans la continuité de la
tradition humaniste allemande, elle se réclame progressivement de la pensée
soviétique en la matière, elle-même influencée par la pédagogie réformée. A
l’image de la démarche entreprise par Célestin Freinet dans son école de Vence
dans les Alpes-Maritimes, il s’agit d’éveiller l’enfant à l’éducation du
travail. Cette philosophie va connaître en RDA une certaine inflexion à travers
la valorisation du travail industriel. L’amour du travail et surtout le lien
entre éducation et travail dit « productif » sont au cœur de la
définition du système polytechnique d’éducation dans la loi de décembre 1959.
Pour autant, l’introduction de ce système a aussi eu de nombreuses conséquences
sur l’enseignement des sciences humaines comme l’histoire dont les programmes
font l’objet de fréquentes modifications retranscrites dans les manuels
diffusés par l’éditeur Volk und Wissen.
A la fin de la guerre, le corps enseignant est constitué à 90%
d’instituteurs ou institutrices exerçant dans les écoles primaires. 60 % sont
des femmes et 55 % ont moins de 35 ans. L’inexpérience de nombreux de ces
« Neulehrer » est donc un élément important à prendre en compte.
Parallèlement, les lycées représentent encore un miroir inversé par rapport au
primaire. Les enseignants y sont nettement plus âgés (sortis de leurs retraites
après avoir exercé sous la République de Weimar) et les hommes sont très
majoritairement représentés. De même, si l’école doit servir la diffusion de
l’idéologie socialiste et le recrutement de membres des organisations de
jeunesse (jeunes pionniers ou membres de la Freie Deutsche Jugend- FDJ), le
corps enseignant est aussi concerné avant l’édification du mur par
l’immigration à l’ouest de certains de ces membres. Pour les régions les plus
touchées, le nombre de défections est estimé à 2% des effectifs par an.
Après cette analyse du corps
enseignant, l’auteur se penche sur les
autres types d’acteurs qui occupent le champ scolaire. Les conseils de parents d’élève servent ainsi à l’interaction des
familles et du monde éducatif. Même si le Parti Socialiste Unifié Allemand y a
renforcé son influence à partir du milieu des années 1950, ceux-ci se sont
d’abord consacrés au traitement de questions plus matérielles qu’idéologiques. Les enseignants ressentent de façon
beaucoup plus pressante la concurrence des fonctionnaires des organisations de
jeunesse. A Berlin, le recrutement se fait plus lentement que dans le reste du
pays jusqu’à la fin des années 1950 que cela soit pour les jeunes pionniers de
6 à 14 ans ou les membres des FDJ. Les fonctionnaires permanents se sentent mis
de côté à tel point que l’inspection académique doit appeler à une bonne
entente entre les parties. Enfin, les autorités est-allemandes organisent un
système de parrainage entre les écoles et les entreprises. Les premières citées
bénéficient d’avantages matériels et de dons en nature. En échange, elles prêtent
leur concours à l’organisation de manifestations dans les entreprises qui les
parrainent.
Le traitement du thème de la
« Jugendweihe », qui
désigne pour les jeunes de 14 ans le rite d’intégration à la patrie socialiste,
illustre particulièrement bien l’école historique à laquelle appartient
Monsieur Emmanuel Droit. Alors que ce rite, en s’appuyant sur l’école comme
lieu de préparation, entend concurrencer la Confirmation de l’Eglise
protestante, l’auteur met en garde contre une vision trop totalitariste de
l’histoire qui ne ferait des individus que de simples réceptacles passifs de
l’idéologie propagée par les tenants du pouvoir. Au contraire, les Allemands de
l’Est s’adaptent, se comportent en caméléons et apprennent à faire semblant. La
même attitude prévaut à l’égard des Russes alors que le désir de réunification
avec l’autre Allemagne reste toujours présent dans les esprits.
D’autres éléments de la première
partie du livre consacrée à l’école d’un type nouveau méritent tout
particulièrement d’être évoqués comme l’esprit de corps naissant parmi les
organisations de jeunesse qui, d’abord minoritaires, adoptent un comportement
d’avant-garde politique et se singularisent par le port du foulard bleu autour
du cou pour les pionniers ou la chemise de même couleur pour les membres de la
FDJ. Enfin, l’école devient à la fin des années 1950, un lieu névralgique de la
lutte contre l’influence culturelle occidentale à travers les bandes dessinées.
Sont mis en place des inspections de cartables ainsi que des échanges de
bandes-dessinées contre des livres de jeunesse d’URSS.
La seconde partie de l’ouvrage
est consacrée à la stabilisation de l’école socialiste après notamment
l’édification du mur en août 1961. De façon générale, celle-ci est marquée par
un mouvement de féminisation et de professionnalisation du personnel enseignant.
Malgré une politique de discrimination positive, les lycées ou « Erweiterte Oberschule EOS » restent
d’accès très difficile pour les enfants d’ouvriers productifs en usine (11 %
des lycéens). La sélection est telle que seulement deux élèves par classe sont
sélectionnés. Pour contourner ces blocages sociaux, les familles émettent des requêtes ou « Eingaben »
pour lesquels la maîtrise des Habitus administratifs est une condition
essentielle de succès.
Les rapports entre les élèves et
les différents intervenants sur le champ scolaire se stabilisent également. Les
taux de participation aux organisations de jeunesse (plus de 90 % à la fin des
années 1970) et à la Jugendweihe, à l’exception les familles de pasteurs, sont
en très nette augmentation. Mais ces statistiques peuvent être trompeuses car
elles ne rendent pas compte d’une certaine dilution idéologique ou au contraire
d’une réappropriation de la part de familles. Si le système de parrainage entre
écoles et entreprises est approfondi avec l’objectif de faire des élèves des
membres à part entière de l’appareil productif, ces derniers restent quelque
peu à l’écart des principales chaînes de production. Un contrat est néanmoins
signé entre l’école et son entreprise marraine. Surtout, des journées de cours productifs sont introduites dans les
programmes scolaires.
Sur le plan des programmes, le
régime de RDA affiche sa foi dans la révolution technologique et scientifique. Le poids des disciplines scientifiques et
technologiques est considérablement renforcé dans les programmes scolaires.
Des écoles spéciales regroupant les meilleurs élèves par discipline sont créées.
Les équipes du pays obtiennent de nombreuses récompenses aux olympiades de
mathématiques.
Au-delà de cette apparente
stabilisation, l’école ne permet pas à la RDA de gagner les cœurs d’une partie
importante de sa population. Même si la nationalité est-allemande est depuis
1967 la seule reconnue en RDA, l’attachement social à cette dernière n’empêche pas de considérer la RFA comme la
société de référence.
Il existe d’ailleurs une
catégorie juridique aux contours flous permettant d’incriminer les jeunes
regroupés en bandes et qui se caractérisent par des comportements excentriques
sous l’influence de la culture occidentale : Rowdytum.
Pendant les cours d’éducation
civique, les réformes constitutionnelles successives sont souvent perçues par
les élèves comme des obstacles à une réunification éventuelle. L’auteur parle
très justement, à propos d’une partie importante de la jeunesse, de « transfrontaliers
idéologiques ».
Le champ scolaire n’est pas
seulement occupé par les parents, les organisations de jeunesse ou les
entreprises. Il l’est aussi par l’armée nationale populaire (NVA) ou d’autres
organisations de type paramilitaire. La NVA doit ainsi participer au
renforcement d’un sentiment d’appartenance nationale. A partir de 1952, la GST
(Gesellschaft für Sport und Technik) donne la possibilité aux élèves de
participer à des activités d’orientation, à des sports mécaniques ou
aéronautiques. Une nouvelle date est ajoutée au calendrier socialiste : le
1er mars est fêtée la NVA. Les manœuvres des pionniers sont
instaurées à partir de 1967. Des cours théoriques et des stages pratiques
permettent d’avoir une première expérience de la vie de caserne. Surtout, la
présence de l’armée à l’école doit permettre de recruter les futurs officiers,
même parmi les élèves qui n’auraient pu accéder au lycée sans leurs aspirations
militaires.
Le chapitre sur la Stasi à
l’école allait être développé dans un livre déjà résumé sur ce blog. L’évolution
des missions confiées à la Stasi devait faire de cette dernière une instance
éducative à part entière. L’éducation par la société, la pression des pairs
doit se substituer à la seule contrainte. Comme le démontre par exemple la
lecture des mémoires des étudiants de l’école de droit de Potsdam, qui dépend
de la Stasi, les futurs agents se considèrent comme des travailleurs ou des
redresseurs sociaux.
Dans ce chapitre, il est très
intéressant de lire les précisions sur les profils recherchés par les agents
recruteurs de la Stasi : la sociabilité et les résultats scolaires sont
parmi les facteurs les plus importants.
Le dernier chapitre de l’ouvrage est
consacré à l’effondrement du système éducatif est-allemand, à l’image de Margot
Honecker, ministre de l’éducation nationale, qui ignore les différents rapports
appelant à la libéralisation du système éducatif et à sa dépolitisation. Le
récit concernant le tableau mural du lycée Carl von Ossietzky de Pankow où les
élèves sont invités à commenter l’actualité est particulièrement éclairant. Il
en est de même de la perception par les élèves de la chute du mur, des
réactions des enseignants face aux bouleversements subis par leur environnement
professionnel ou encore de la volonté de ces mêmes élèves de participer à
l’élaboration des nouvelles règles devant régir la vie scolaire.