vendredi 30 avril 2010

Défunte DEFA: Histoire de l'autre cinéma allemand.



Défunte DEFA: histoire de l'autre cinéma allemand

Cyril Buffet

Cerf- Corlet

2007 – 331 Pages avec annexes


La DEFA (Deutsche Film Aktien Gesellschaft) a précédé la création de la République Démocratique Allemande de trois ans. A travers ce studio d'Etat officiellement créé en mai 1946, le cinéma devait devenir un instrument de propagande favorisant ainsi l'émergence d'une identité spécifique est-allemande. Pour Lénine, déjà, le cinéma était la forme d'art la plus importante.


Si le cinéma est une affaire d'Etat, l'auteur entend démontrer que certains des films produits par la DEFA sont de véritables oeuvres à travers lesquelles réalisateurs et scénaristes ont fait preuve d'indépendance, de sensibilité et de justesse dans l'analyse de la société est-allemande.


Le premier film réalisé sur le sol allemand après la seconde guerre mondiale s'intitule « Die Mörder sind unter uns » (1946). Il a une valeur programmatique à la fois pour le pays et pour le réalisateur Wolfgang Staudte pour qui il s'agit d'une libération intérieure. Il faut exposer les remords des opposants silencieux. Dans le film « Rotation » (1949), le même Staudte focalise son attention sur le personnage du suiviste qui finit par se faire broyer par l'enchaînement des événements.


En 1947, année de crispation des relations entre l'est et l'ouest, le SED (parti socialiste unifié d'Allemagne) entend resserrer son contrôle sur la DEFA qui devient une société germano-soviétique par actions. Au sein du SED, une commission est en charge des projets de films présentés par la DEFA. L'auteur examine dans cette partie du livre le réalisme socialiste à travers par exemple les films prolétariens ou les films basés sur la reconstruction de l'Allemagne de l'Est (Aufbaufilm). En novembre 1949, le « Mariage de Figaro » est le dernier film à être distribué en même temps en RDA et en RFA.


A partir de juin 1950, un contrôle est exercé sur tous les films au stade de l'écriture. Ainsi, la FDJ (organisation de jeunesse socialiste et pouponnière des futurs dirigeants du SED) entend viser tous les films destinés au jeune public. Il s'agit également de faire contrepoids aux films de RFA insistant sur les motivations des réfugiés passant d'est en ouest. Ces derniers sont le plus souvent présentés comme des asociaux.


L'année 1952 marque un autre tournant de l'histoire de la DEFA. La DEFA devient une société d'Etat reprise en main par le SED à travers une administration centrale pour le cinéma « Hauptverwaltung Film ». Cette dernière entend donner une direction homogène à l'ensemble de l'industrie cinématographique. Les conseillers littéraires se font de plus en plus pesants dans la préparation des films. Ceux-ci se voient attribuer des notes qui conditionnent par la suite leur sortie en salle. La production fait l'objet d'un plan annuel où sont privilégiés les films renforçant le socialisme en RDA et les films pour enfants dont certains sont présentés comme de véritables réussites artistiques (Die Geschichte vom kleinen Muck ).

Les événements de juin 1953 vont enclencher un nouveau cours dans l'histoire de la RDA et donc de celle de la DEFA. Après la répression et les chars, le pouvoir va porter ses efforts sur le développement de la consommation et du pouvoir d'achat pour éviter tout nouveau trouble. La police politique (Stasi) recrute parallèlement de plus en plus d'agents.

D'un point de vue cinématographique, la mort de Staline entraîne un certain dégel. Les dirigeants de la DEFA entendent dissuader les berlinois de l'est de se rendre dans les salles de l'ouest. Pour enrayer la chute du nombre de spectateurs, une école supérieure du cinéma est créée à Babelsberg en novembre 1954. Les réalisateurs peuvent se consacrer à des films plus intimistes où les personnages prennent de l'épaisseur. Par exemple, dans le film Schönhauser Allee, le conflit de générations occupe une place prépondérante. Berlin-Ouest est le plus souvent présentée comme un miroir aux alouettes. Le dégel a également des conséquences internationales. Malgré la doctrine Hallstein menaçant d'ostracisme les pays reconnaissant la RDA, 4 productions avec les pays de l'ouest sont menées à leur terme.

La période entre 1957 et 1961 est marquée par de nouvelles tensions et un retour au dogmatisme officialisé par la Conférence de Bitterfeld en 1959. Il devient plus difficile d'aborder le thème de la seconde guerre mondiale malgré des gages de conformisme. Les films d'actualité deviennent la priorité de la DEFA. L'espionnage devient un filon appréciable pour les réalisateurs. Plus de 50.000 agents sont stationnés à Berlin. En 1959 sort le premier film consacré à l'armée nationale populaire (NVA). La même année, les premiers groupes de travail (KAG) doivent donner plus d'autonomie au studio. Davantage de films doivent être produits dans des délais plus courts.

La construction du Mur en 1961 aura des effets contradictoires sur le cinéma. Certains films auront pour objet de justifier la division hermétique de la ville comme « Der Kinnhaken » (L'Uppercut) ou « Sonntagfahrer ». D'autres sont produits à la gloire de la Stasi. Pourtant, le mur permet au régime de la RDA de se stabiliser. Les groupes de travail (KAG) acquièrent plus d'autonomie. La vie et le parti peuvent être décrits tels qu'ils sont. La seconde guerre est abordée sous un autre angle: les allemands de l'est ne sont plus seulement résistants ou anti-fascistes. Ils combattent dans l'armée. Le passé nazi ne touche pas uniquement l'Allemagne de l'Ouest. Dans le film « Der Frühling braucht Zeit », un ingénieur est licencié car il n'est pas membre du parti. Il paie les erreurs de son directeur qui avait suivi le plan à la lettre.

Alors qu'un décret de 1963 réforme le système judiciaire de RDA, le film « C'est moi le lapin » critique les magistrats carriéristes qui défendent l'Etat davantage que le droit. Il devient nécessaire pour le pouvoir d'éviter tout nouveau film « lapin ». Le contrôle sur les groupes de travail est renforcé. L'Etat se sent menacé. Après le Printemps de Prague, cette tendance s'accentue. Le film « Die Spur der Sterne » qui, sous des airs de film de cow boy, dénonce l'immobilisme du parti est attaqué par ce dernier.

Alors que la créativité atteint son point le plus bas, la DEFA doit faire face à la concurrence de la télévision. Elle développe les films d'indiens où les propriétaires et spéculateurs fonciers sont dénoncés face à des indiens rappelant le mythe du bon sauvage. De Même, les comédies musicales de la DEFA mettent souvent en scène des travailleurs.


Cyril Buffet analyse dans cette partie de son ouvrage la filmographie de Konrad Wolf, fils de Friedrich Wolf et frère de Markus Wolf. Dans le film « Ich war neunzehn » Konrad Wolf se penche sur l'identité est-allemande. Un émigré allemand rentre en Allemagne à la fin de la seconde guerre mondiale pour participer à l'effort de propagande soviétique. Il accepte peu à peu sa « germanité » jusqu'à prononcer la phrase de fin: « je suis allemand ». Cette oeuvre devient une obligation mémorielle pour des générations d'écoliers, ce qui pousse certains au scepticisme. Dans Goya, un autre de ses films, Konrad Wolf s'interroge sur le rôle et la place de l'artiste face au pouvoir politique.


A l'arrivée au pouvoir de Erich Honecker en 1971, la détente politique est plutôt trompeuse. A nouveau, l'appareil répressif se fait plus pressant. Les cinéastes de la nouvelle génération prennent pour thème la vie de tous les jours et notamment l'état des rapports entre hommes et femmes. Dans son film « Die Legende von Paul und Paula », Heiner Carow présente deux personnes aux origines diverses. Paul est un bureaucrate au ministère du commerce extérieur. Il est marié et habite dans un immeuble moderne. Paula est caissière. Elle habite dans un vieil immeuble. Les deux personnages se rencontrent dans une boîte de nuit. Ils se plaisent mais Paul hésite à bouleverser sa vie et est réticent à s'engager sentimentalement. Tout change à la mort d'un enfant de Paula. Paul se rapproche d'elle mais elle le repousse pendant un temps. Les deux héros finissent par se marier mais Paula trouve la mort en donnant naissance à leur enfant.


Ce film trouble quelque peu le SED. Par exemple, Paula se montre parfois peu respectueuse de l'uniforme porté par Paul. Celui-ci préfère finalement Paula à sa carrière alors même que cette dernière a parfois été volage. Pour que cette oeuvre soit diffusée, l'autorisation personnelle de Honecker est nécessaire. Après le bannissement de Wolf Biermann et son expulsion de la RDA en 1976, de nombreux acteurs qui l'avaient soutenu quittent progressivement la RDA. Parmi eux se trouvent Paula puis Paul (Angelica Domröse et Winfried Gltazeder). Même s'il a aujourd'hui le statut de film culte, « La légende de Paul et Paula » a été frappée d'ostracisme pendant les dernières années de la RDA. Paradoxalement, la vague d'ostalgie lui a redonné sa place d'origine.


Les dernières années de la RDA sont marquées par la précarité de la situation des jeunes metteurs en scène. La censure se fait plus sournoise afin de donner aux films un ton et une fin optimistes. Dans les années 1980, de plus en plus d'employés veulent quitter le pays alors qu'en 1984 un article de l'organe du SED « Neues Deutschland » réclame un retour au dogmatisme.


Ce soubresaut n'empêche pas une certaine internationalisation du cinéma de RDA notamment par le biais de la Berlinale. En 1985, le jury présidé par Jean Marais décerne l'ours d'or au film "la femme et l'étranger". En 1988, les acteurs principaux du film « Chacun porte le fardeau de l'autre » sont récompensés par un ours d'argent. En février 1990, la Berlinale a lieu dans les deux parties de la ville.


En 1992, la DEFA est officiellement dissoute. Ses actifs sont revendus dans un premier temps à la société qui allait devenir Vivendi qui s'en sépare. En 2005 a lieu une rétrospective des films de la DEFA au Museum of Modern Art de New York.





dimanche 7 mars 2010

Les Alliés et la Culture-- Berlin 1945-1949


Bernard Genton
PUF- Politique d'aujourd'hui
451 Pages- 1998

Entre 1945 et 1949, les rapports entre alliés vont changer de nature. La volonté de coopérer née à la fin de la guerre se dissipe après quelques mois. D'abord latent, l'affrontement se fait de plus en plus direct. Les Russes quittent le Conseil de Contrôle, l'instance quadripartite en charge de l'ensemble de l'Allemagne, en mars 1948. Ils font de même en juin pour la Kommandatura, compétente pour la ville de Berlin. A l'hiver 1946-1947, se met en place la bizone. En 1948, la réforme monétaire sert de prétexte au blocus de la partie ouest de la ville. L'échec de ce dernier accélère la partition de l'Allemagne en deux Etats séparés.


A la chute de Berlin en mai 1945, les troupes soviétiques se rendent maîtres de la ville. Les alliés, en premier lieu britanniques et américains, ne seront sur place que deux mois plus tard. A ce stade, les alliés tombent d'accord pour laisser en l'état ce qui a été mis en place par l'armée rouge. Les observateurs de toutes tendances parleront de "printemps culturel" pour saluer notamment l'action de Nicolas Bersarine en matière culturelle. Les alliés anglo-saxons ont eu davantage de difficultés à appréhender la dimension politique de toute action culturelle. Pour les Etats-Unis, par exemple, le revirement se fera pleinement à l'été 1947. Derniers arrivés, les représentants français se heurteront le plus souvent aux réticences des autres alliés et ne parviendront pas à faire valoir leurs points de vue. Bernard Genton détaille à cet égard les cas de la colonne de la victoire ou de l'exposition sur les crimes hitlériens. La Siegessäule ne sera pas détruite alors que l'exposition sur les crimes ne verra jamais le jour.


L'auteur évoque les cas de Wilhelm Furtwängler (chef d'orchestre) et de Gustav Gründgens (metteur en scène) en matière de dénazification. La bataille se fait presque à front renversé car les Américains se montrent ici les plus exigeants.


L'activité cinématographique était en vogue pendant la guerre. Pour l'année 1945, 72 films avaient été prévus. La société UFA (Universum Film Aktien Gesellschaft) avait fusionné avec d'autres producteurs et en 1939 la ville de Balbelsberg avait été intégrée à celle de Potsdam.


Au sortir de la guerre, les alliés avaient interdit toute activité économique en matière cinématographique. Ils ont ensuite organisé des opérations de "screening" visant à vérifier le passé de tout intervenant potentiel dans le domaine du cinéma.


"Les meurtriers sont parmi nous" est le premier film produit à Berlin après la fin de la guerre. Il vient de la DEFA (Deutsche Film AG), la société de production mise en place par les soviétiques. Les Américains hésitent entre plusieurs options possibles. L'échec de la politique de culpabilisation symbolisée par le film "les moulins de la mort", un documentaire sur les camps de la mort, les poussent à modifier leur politique. Il s'agira dorénavant de divertir en projetant une image positive des Etats-Unis.


Les films soviétiques, jugés beaucoup trop politisés, seront toujours boudés par le public berlinois. Il en sera de même pour les pièces de théâtre comme celle de Constantin Simonov, "la question russe", qui tente d'opposer deux Amériques bien opposées (celle des arrivistes face à celle de Lincoln).


Ce qui marque dans le livre de Bernard Genton, c'est la capacité du public berlinois à s'approprier certaines des oeuvres qui lui sont présentées. C'est par exemple le cas de la pièce de Thornton Wilder "the color of our teeth" où les héros vivent d'éternels recommencements en puisant dans les arts ou les véritables valeurs humaines ou de celle de Jean Anouilh "Antigone".


Le problème est quelque peu différent en ce qui concerne la pièce de Jean-Paul Sartre "les Mouches" montée par Jürgen Fehling. Alors que la mise en scène est applaudie, le texte est critiqué. Même s'il a donné lieu à des discussions intéressantes sur le thème du repentir, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ne conservent pas un grand souvenir de leur voyage à Berlin entre janvier et février 1948. Pour la France, il s'agissait surtout de redorer son image comme lors d'une exposition consacrée à la peinture moderne dès 1946.


Alors que chacune des puissances alliées bâtit sa propre maison de la culture, l'action culturelle des alliés prend une toute autre signification au moment du blocus de Berlin entre juin 1948 et mai 1949. A travers celle-ci, les alliés réaffirment de façon très symbolique qu'ils ne quitteront pas Berlin.


Melvin Lasky, apparu au congrès des écrivains allemands en 1947, a encore l'occasion de rapprocher fascisme et communisme dans la revue culturelle d'inspiration américaine "Der Monat" qui décline toutes les variantes du libéralisme tout en s'opposant de façon catégorique au fascisme. Cette revue fait une grande place à des socialistes repentis comme Arthur Koetsler l'auteur du roman "Le Zéro et l'infini" ou "Darkness at Noon" en version originale dénonçant les procès de Moscou des années 1930.


Il en est de même pour les britanniques qui s'investissent pleinement dans le festival élisabéthain et qui font venir des philosophes prestigieux comme Bertrand Russell ou des poètes comme TS Eliot.


Enfin, Berlin sera le réceptacle de la controverse sur le statut et les droits de la population noire aux Etats-Unis à l'occasion de la publication d'une anthologie consacrée à la poésie noire américaine du côté soviétique. Alors que les autorités soviétiques et est-allemandes se plaisaient à insister sur ce point (voir par exemple la rue Paul Robeson à Prenzlauer Berg ou les manifestations en faveur d'Angela Davis toujours à Berlin-est), la guerre froide aura au moins accéléré les efforts d'intégration aux Etats-Unis.


jeudi 4 février 2010

Berlin Alexanderplatz par Alfred Döblin


L'Alexanderplatz, située au centre-est de Berlin dans le quartier de Mitte, tire son nom du Tsar Alexandre 1er qui y a effectué une visite en 1805.

D'abord place de marchés, « Alex » est devenue au début du vingtième siècle un haut lieu du commerce en même temps que le principal noeud de transports de la ville. La date de parution du roman d'Alfred Döblin coïncide d'ailleurs avec les premiers pas de l'entité qui allait devenir la BVG (l'entreprise de transports en commun de la ville de Berlin).

Commerce et transports occupent ainsi une place centrale dans ce Großstadt Roman. Pour pouvoir rendre compte de l'atmosphère d'une grande ville, l'auteur adopte plusieurs angles de narration et intègre plusieurs supports à son oeuvre comme des publicités, des poèmes, des articles de journaux ou même des documents visuels.

En effet, le héros Franz Biberkopf se laisse plusieurs fois submerger par Berlin au point de flirter avec la mort et la folie. Tout juste sorti de la prison de Tegel, Franz voit le sol se dérober sous ses pieds et les murs danser. Il a du mal à retrouver ses repères et regrette parfois la vie toute réglée de l'intérieur de la prison. Il se fait finalement le serment de rester honnête, se lance dans le commerce de journaux et le porte à porte.

Franz a de l'audace et sait raconter des histoires. Il se réapproprie la ville, parvient pendant quelques semaines à respecter son serment avant que de mauvaises fréquentations ne le mettent dans une situation délicate, lui qui a parfois du mal à juger les gens. Une de ses connaissances vole une vielle femme à qui Franz avait vendu des marchandises. Presque paniqué, Franz se terre dans une chambre, ce qui donne à Alfred Döblin le temps de décrire en détail les abattoirs et le milieu de la pègre de Berlin.

Lorsque Franz Biberkopf se met de nouveau à vendre des journaux, il fait la connaissance de Reinhold tour à tour sujet d'étude psychologique puis ami.

Par l'intermédiaire de Reinhold, Franz entre dans l'organisation de Pums qui a pour couverture la vente de fruits et légumes. Sollicité un soir, Franz se rend compte un peu tard qu'il s'agit de faire le guet pour couvrir un cambriolage qui tourne mal. Il se sent trahi et est éjecté de la voiture des cambrioleurs à pleine vitesse par son ami Reinhold.

La bande de Pums le laisse pour mort. Avec l'aide d'Herbert et d'Eva, Franz se remet difficilement de son hospitalisation à Magdeburg où il a été amputé d'un bras.

En dépit de ses premières réticences, Franz fait la connaissance de Mimi à laquelle il s'attache tout en devenant son proxénète. Celle-ci l'aime aussi et entend subvenir à ses besoins. A travers des faux-fuyants, Franz reprend de l'assurance. Par exemple, il fait des exercices pour entraîner le bras qui lui reste, s'achète des décorations et passe ainsi pour un mutilé de guerre. Au lieu de demander réparation à la bande de Pums et à Reinhold, il recommence à travailler avec lui.

Décontenancé, Reinhold craint de diaboliques représailles et décide de prendre les devants. Il veut éliminer définitivement Franz en lui dérobant Mimi qui, voulant protéger Franz, se laisse entraîner par Reinhold et Karl. Après avoir été battue par Franz et lui avoir pardonné, Mimi meurt sous les coups de Reinhold.

Dans une ultime manoeuvre, Reinhold incite Franz à fuir et se fait arrêter pour d'autres motifs. Il se fait conduire en prison sous une fausse identité.

Quand Franz apprend par le journal que Mimi est morte assassinée, il est bouleversé et proteste de sa bonne foi auprès d'Eva et de son amie. Il décide de redescendre sur Berlin pour aller trouver Reinhold et le tuer. Au cours d'une descente de police, il se fait arrêter non sans avoir tiré au préalable sur un agent de la police dans une démarche presque suicidaire.

Il refuse de se nourrir face à tous les traitements des médecins de l'asile qui cherchent à le maintenir en vie. Il parle avec la mort qui tout en l'encourageant à franchir les derniers mètres le menant jusqu'à elle le trouve indigne d'elle.

Parallèlement, la manoeuvre de Reinhold échoue. Il a été démasqué par un compagnon de cellule polonais. Karl est lui aussi allé parler du corps de Mimi à un juge.

Après sa rencontre inaboutie avec la mort, Franz ingurgite le jus de viande sans chercher à le recracher. Il s'est transformé en un nouveau Franz Biberkopf qui a pris sa place. Il témoigne au procès faisant suite à la mort de Mimi. Sa conversation avec la mort à propos de sa vanité et de sa confiance mal placée l'a transformé.

Il se voit offrir un poste de concierge et a ainsi de nouveau l'occasion de respecter son serment d'honnêteté.

dimanche 10 janvier 2010

Sous la baguette du Reich- Le Philharmonique de Berlin et le national-socialisme


Misha Aster
Essai traduit de l'allemand par Philippe Giraudon
Editions Héloïse d’Ormesson
Septembre 2009
399 pages

Dans cet ouvrage, Misha Aster relate l’histoire de l’orchestre philarmonique de Berlin qui, comme le ferait un organisme vivant, a su s’adapter et se transformer pour survivre à de graves crises financières ou encore à sa réputation d’ambassadeur culturel de l’Allemagne sous le Troisième Reich.

L’orchestre philarmonique de Berlin a été fondé en 1882 sous la forme d’une association autogérée. Les musiciens se devaient de prendre les décisions importantes de façon collective pour renforcer leur cohésion et leur esprit de corps. Cette autonomie devint officielle en 1903. Parmi les instances dirigeantes de l’orchestre au niveau administratif, il convient de noter le rôle du Vorstand qui représentait l’orchestre dans ses relations avec les autorités politiques.


C’est paradoxalement l’excellence artistique qui a failli mener l’orchestre à la ruine. Les salaires des musiciens étaient indexés sur l’inflation et constituaient le premier poste de dépense pour l’institution. De 1930 à 1933, la situation était si critique que l’orchestre se lança dans une course aux subventions. Les premiers subsides du Ministère pour l’instruction populaire et la propagande du Docteur Goebbels ne furent accordés qu’après que des fonctionnaires aient pu avoir accès aux livres de compte de l’association.


La réputation de l’orchestre était telle qu’elle a donné lieu à une surenchère entre le ministère de l’intérieur et celui de la propagande jusqu'à ce que celui-ci ne prenne le contrôle total de l’orchestre le 1er novembre 1933. La nouvelle structure prend modèle sur la Arbeitsgemeinschaft qui avait été imaginée quelques années auparavant pour rationaliser les relations de l’orchestre avec l’Etat, le Land et la municipalité de Berlin. En janvier 1934, les musiciens de l’orchestre deviennent des fonctionnaires d’Etat et l’orchestre prend le nom de Reichsorchester.


Alors que son chef Wilhelm Furtwängler conservait un rôle éminent, l’orchestre lui-même se dotait d’un Conseil d’administration (Aufsichtrat), d’un directeur commercial (Geschäftführer) et d’un directeur artistique. Il fallait se mettre en conformité avec les grands principes du nationalisme dans le cadre d’un processus de Gleichschaltung.

En avril 1933, les autorités nazies demandent une liste des musiciens juifs de l’orchestre. Cette requête débouche sur une série de manœuvres dilatoires de la part de l’orchestre et de son chef Wilhelm Furtwängler qui n’entend pas voir les autorités politiques s’immiscer dans sa sphère de compétence artistique. Pourtant, les musiciens juifs allaient rapidement quitter l’orchestre entre 1934 et 1935 tout comme l’assistante de Wilhelm Furtwängler.


Comme l’analyse très finement l’auteur, le processus de mise en conformité idéologique se développe dans un environnement d’interdépendance et de faveurs réciproques entre les autorités nazies et l’orchestre philarmonique. Les gratifications accordées aux musiciens vont des décorations au statut de non-disponibilité pour des obligations militaires (UK-Stellung). En échange, les musiciens de l’orchestre doivent faire preuve de disponibilité et de professionnalisme en rapport avec leur statut. En 1936, l’orchestre fait sa première apparition au congrès du NSDAP. Il joue aux Jeux Olympiques de Berlin. L’année suivante, il est envoyé à l’exposition internationale de Paris. Sous l’impulsion de Goebbels, l’orchestre enregistre de nombreux concerts pour la radio.


En plus des concerts philarmoniques qui sont la pièce maitresse de sa programmation, l’orchestre donne notamment des concerts symphoniques pour abonnés. Les années 1939-1942 sont parmi les plus brillantes de l’histoire de l’orchestre. Le répertoire joué s’appuie sur la mystique de la continuité entre le 18ème, le 19ème siècle et certains auteurs contemporains marqués par un certain romantisme. En dehors des manifestations organisées directement par le régime, l’orchestre reste libre de jouer les auteurs et les œuvres de son choix. De fait, il existe une harmonie certaine entre les choix du régime, ceux de l’orchestre et les attentes du public qui n’a jamais été aussi nombreux et varié.


A partir de 1942, les circonstances évoluent défavorablement pour l’orchestre en Allemagne aussi bien qu’à l’étranger dans ses tournées où il est présenté comme l’avant-garde des parachutistes. La philharmonie est détruite dans un bombardement allié en janvier 1944 et le dernier concert a lieu un an plus tard à l’initiative d’Albert Speer.


L’épilogue du livre de Misha Aster explique de façon remarquable comment l’orchestre philarmonique a fait sa mutation politique tout de suite après la fin de la guerre tout en conservant son excellence et son unité. Privé de son chef Furtwängler le temps de son procès en dénazification, l’orchestre place à sa tête le chef Leo Borchard qui avait résisté au nazisme et recommence à interpréter les œuvres de Félix Mendelssohn Bartholdy.


Dans les années 1950, l’orchestre a retrouvé son statut. Malgré les pressions contraires, il se choisit Herbert Von Karajan comme nouveau chef d’orchestre. Ce dernier, ancien protégé d’Hermann Göring qui le fit diriger l’orchestre du Staatsoper de Berlin, allait rester en fonction jusqu’en 1989 et sa demission pour cause de maladie.

La Stasi à l’école: surveiller pour eduquer en RDA (1950-1989)


Emmanuel Droit Editions Nouveau Monde 243 pages Septembre 2009

De par son parcours universitaire, l’auteur entend se placer dans une démarche historiographique bien précise : celle d’une histoire sociale de la Stasi centrée notamment sur les interactions entre le pouvoir politique et la société. Ce courant historiographique, représenté également par Mary Fulbrook en Angleterre, se distingue du courant mettant davantage en avant la Stasi comme instrument du totalitarisme avec comme représentante par exemple Anna Funder.

L’ouvrage comprend ainsi trois parties :

- La Stasi comme instrument de domination de sa création jusqu’en 1961

- De la répression à la surveillance

- La Stasi comme lieu de mémoire


Dès l’année 1946, Américains et Russes mettent en place dans leur zone d’occupation un embryon de police politique. Pour ces derniers, il s’agit en premier lieu du Commissariat 5. La structure va évoluer petit à petit et se concentrer sur les questions d’ordre économique avant de s’émanciper du ministère de l’intérieur et de devenir une structure autonome. La Stasi est officiellement créée en février 1950.

Pendant 10 ans, la Stasi va surtout intervenir de façon réactive dans le champ scolaire par exemple dans l’examen de dossiers de candidats à l’entrée au parti socialiste unifié (SED). L’auteur détaille à ce propos l’exercice autobiographique auquel doivent se livrer les candidats et les pièges qu’il renferme pour ceux qui se montrent trop candides. La première partie de l’ouvrage se termine par une analyse des événements du 17 juin 1953. La Stasi est encore trop peu implantée pour anticiper les effets du soulèvement dans le milieu scolaire. Il ne reste plus aux organisations de jeunesse comme la FDJ à diffuser le mythe selon lequel les événements sont la conséquence de tentatives de déstabilisations venues de l’ouest.


Le traumatisme de juin 1953 va entrainer un changement de paradigme dans l’organisation de la Stasi avec l’arrivée à sa tête d’Erich Mielke. L’augmentation exponentielle du nombre de collaborateurs officieux de la Stasi va de pair avec l’élargissement de la notion d’ennemi intérieur qu’il convient de surveiller. Après avoir fondé beaucoup d’espoir sur les premières générations d’allemands de l’est nés après 1945 pour faire éclore l’homme socialiste nouveau, la Stasi entend par sa présence inculquer et faire intérioriser certaines valeurs. Il s’agit de pousser à un certain conformisme social tout en recrutant et formant les futures élites.


L’auteur se concentre sur différents thèmes comme le rôle de la Stasi dans la surveillance des jeunes générations de réformistes interpellés par la répression du Printemps de Prague en 1968, celle des « peer groups » par exemple les punks, ou encore la participation active de la Stasi dans la militarisation progressive de l’éducation en RDA.


Tout comme l’auteur, on ne peut que souligner les imperfections des rapports de la Stasi en tant que matériels historiques tant ils donnent lieu à des spéculations. Ce qui frappe également, c’est l’inutilité concrète de certains rapports pourtant récompensés par des primes. La Stasi est trop prisonnière de ses grilles de lecture binaires et manichéennes pour analyser utilement les informations récoltées. Ces défaillances expliqueront en grande partie sa chute à l’automne 1989.


La troisième et dernière partie du livre traite de la Stasi comme lieu de mémoire touchant d’abord l’ancienne Allemagne de l’Est puis l’Allemagne réunifiée dans son ensemble à l’image de la controverse touchant l’accessibilité des données de l’ancien Chancelier Helmut Kohl. Les indications bibliographiques sont un excellent point de départ pour qui entend explorer le thème de la Stasi dans la littérature allemande. On signalera entre autres les ambigüités de Christa Wolf ou le livre de Thomas Brussig « Helden wie wir » traduit en français sous le titre « Le complexe de Klaus ».


Comme l’auteur, il nous faut rendre hommage aux actions citoyennes ayant permis de préserver l’intégrité des archives de la Stasi maintenant sous la responsabilité de la BStU (Die Behörde der Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik ).

Nous recommandons également la visite du mémorial de Berlin-Hohenschönhausen où les visites sont conduites par d’anciens détenus. Une telle visite peut être utilement préparée par la lecture du récit de Jürgen Fuchs « Souvenirs d’interrogatoires ».