vendredi 30 avril 2010

Défunte DEFA: Histoire de l'autre cinéma allemand.



Défunte DEFA: histoire de l'autre cinéma allemand

Cyril Buffet

Cerf- Corlet

2007 – 331 Pages avec annexes


La DEFA (Deutsche Film Aktien Gesellschaft) a précédé la création de la République Démocratique Allemande de trois ans. A travers ce studio d'Etat officiellement créé en mai 1946, le cinéma devait devenir un instrument de propagande favorisant ainsi l'émergence d'une identité spécifique est-allemande. Pour Lénine, déjà, le cinéma était la forme d'art la plus importante.


Si le cinéma est une affaire d'Etat, l'auteur entend démontrer que certains des films produits par la DEFA sont de véritables oeuvres à travers lesquelles réalisateurs et scénaristes ont fait preuve d'indépendance, de sensibilité et de justesse dans l'analyse de la société est-allemande.


Le premier film réalisé sur le sol allemand après la seconde guerre mondiale s'intitule « Die Mörder sind unter uns » (1946). Il a une valeur programmatique à la fois pour le pays et pour le réalisateur Wolfgang Staudte pour qui il s'agit d'une libération intérieure. Il faut exposer les remords des opposants silencieux. Dans le film « Rotation » (1949), le même Staudte focalise son attention sur le personnage du suiviste qui finit par se faire broyer par l'enchaînement des événements.


En 1947, année de crispation des relations entre l'est et l'ouest, le SED (parti socialiste unifié d'Allemagne) entend resserrer son contrôle sur la DEFA qui devient une société germano-soviétique par actions. Au sein du SED, une commission est en charge des projets de films présentés par la DEFA. L'auteur examine dans cette partie du livre le réalisme socialiste à travers par exemple les films prolétariens ou les films basés sur la reconstruction de l'Allemagne de l'Est (Aufbaufilm). En novembre 1949, le « Mariage de Figaro » est le dernier film à être distribué en même temps en RDA et en RFA.


A partir de juin 1950, un contrôle est exercé sur tous les films au stade de l'écriture. Ainsi, la FDJ (organisation de jeunesse socialiste et pouponnière des futurs dirigeants du SED) entend viser tous les films destinés au jeune public. Il s'agit également de faire contrepoids aux films de RFA insistant sur les motivations des réfugiés passant d'est en ouest. Ces derniers sont le plus souvent présentés comme des asociaux.


L'année 1952 marque un autre tournant de l'histoire de la DEFA. La DEFA devient une société d'Etat reprise en main par le SED à travers une administration centrale pour le cinéma « Hauptverwaltung Film ». Cette dernière entend donner une direction homogène à l'ensemble de l'industrie cinématographique. Les conseillers littéraires se font de plus en plus pesants dans la préparation des films. Ceux-ci se voient attribuer des notes qui conditionnent par la suite leur sortie en salle. La production fait l'objet d'un plan annuel où sont privilégiés les films renforçant le socialisme en RDA et les films pour enfants dont certains sont présentés comme de véritables réussites artistiques (Die Geschichte vom kleinen Muck ).

Les événements de juin 1953 vont enclencher un nouveau cours dans l'histoire de la RDA et donc de celle de la DEFA. Après la répression et les chars, le pouvoir va porter ses efforts sur le développement de la consommation et du pouvoir d'achat pour éviter tout nouveau trouble. La police politique (Stasi) recrute parallèlement de plus en plus d'agents.

D'un point de vue cinématographique, la mort de Staline entraîne un certain dégel. Les dirigeants de la DEFA entendent dissuader les berlinois de l'est de se rendre dans les salles de l'ouest. Pour enrayer la chute du nombre de spectateurs, une école supérieure du cinéma est créée à Babelsberg en novembre 1954. Les réalisateurs peuvent se consacrer à des films plus intimistes où les personnages prennent de l'épaisseur. Par exemple, dans le film Schönhauser Allee, le conflit de générations occupe une place prépondérante. Berlin-Ouest est le plus souvent présentée comme un miroir aux alouettes. Le dégel a également des conséquences internationales. Malgré la doctrine Hallstein menaçant d'ostracisme les pays reconnaissant la RDA, 4 productions avec les pays de l'ouest sont menées à leur terme.

La période entre 1957 et 1961 est marquée par de nouvelles tensions et un retour au dogmatisme officialisé par la Conférence de Bitterfeld en 1959. Il devient plus difficile d'aborder le thème de la seconde guerre mondiale malgré des gages de conformisme. Les films d'actualité deviennent la priorité de la DEFA. L'espionnage devient un filon appréciable pour les réalisateurs. Plus de 50.000 agents sont stationnés à Berlin. En 1959 sort le premier film consacré à l'armée nationale populaire (NVA). La même année, les premiers groupes de travail (KAG) doivent donner plus d'autonomie au studio. Davantage de films doivent être produits dans des délais plus courts.

La construction du Mur en 1961 aura des effets contradictoires sur le cinéma. Certains films auront pour objet de justifier la division hermétique de la ville comme « Der Kinnhaken » (L'Uppercut) ou « Sonntagfahrer ». D'autres sont produits à la gloire de la Stasi. Pourtant, le mur permet au régime de la RDA de se stabiliser. Les groupes de travail (KAG) acquièrent plus d'autonomie. La vie et le parti peuvent être décrits tels qu'ils sont. La seconde guerre est abordée sous un autre angle: les allemands de l'est ne sont plus seulement résistants ou anti-fascistes. Ils combattent dans l'armée. Le passé nazi ne touche pas uniquement l'Allemagne de l'Ouest. Dans le film « Der Frühling braucht Zeit », un ingénieur est licencié car il n'est pas membre du parti. Il paie les erreurs de son directeur qui avait suivi le plan à la lettre.

Alors qu'un décret de 1963 réforme le système judiciaire de RDA, le film « C'est moi le lapin » critique les magistrats carriéristes qui défendent l'Etat davantage que le droit. Il devient nécessaire pour le pouvoir d'éviter tout nouveau film « lapin ». Le contrôle sur les groupes de travail est renforcé. L'Etat se sent menacé. Après le Printemps de Prague, cette tendance s'accentue. Le film « Die Spur der Sterne » qui, sous des airs de film de cow boy, dénonce l'immobilisme du parti est attaqué par ce dernier.

Alors que la créativité atteint son point le plus bas, la DEFA doit faire face à la concurrence de la télévision. Elle développe les films d'indiens où les propriétaires et spéculateurs fonciers sont dénoncés face à des indiens rappelant le mythe du bon sauvage. De Même, les comédies musicales de la DEFA mettent souvent en scène des travailleurs.


Cyril Buffet analyse dans cette partie de son ouvrage la filmographie de Konrad Wolf, fils de Friedrich Wolf et frère de Markus Wolf. Dans le film « Ich war neunzehn » Konrad Wolf se penche sur l'identité est-allemande. Un émigré allemand rentre en Allemagne à la fin de la seconde guerre mondiale pour participer à l'effort de propagande soviétique. Il accepte peu à peu sa « germanité » jusqu'à prononcer la phrase de fin: « je suis allemand ». Cette oeuvre devient une obligation mémorielle pour des générations d'écoliers, ce qui pousse certains au scepticisme. Dans Goya, un autre de ses films, Konrad Wolf s'interroge sur le rôle et la place de l'artiste face au pouvoir politique.


A l'arrivée au pouvoir de Erich Honecker en 1971, la détente politique est plutôt trompeuse. A nouveau, l'appareil répressif se fait plus pressant. Les cinéastes de la nouvelle génération prennent pour thème la vie de tous les jours et notamment l'état des rapports entre hommes et femmes. Dans son film « Die Legende von Paul und Paula », Heiner Carow présente deux personnes aux origines diverses. Paul est un bureaucrate au ministère du commerce extérieur. Il est marié et habite dans un immeuble moderne. Paula est caissière. Elle habite dans un vieil immeuble. Les deux personnages se rencontrent dans une boîte de nuit. Ils se plaisent mais Paul hésite à bouleverser sa vie et est réticent à s'engager sentimentalement. Tout change à la mort d'un enfant de Paula. Paul se rapproche d'elle mais elle le repousse pendant un temps. Les deux héros finissent par se marier mais Paula trouve la mort en donnant naissance à leur enfant.


Ce film trouble quelque peu le SED. Par exemple, Paula se montre parfois peu respectueuse de l'uniforme porté par Paul. Celui-ci préfère finalement Paula à sa carrière alors même que cette dernière a parfois été volage. Pour que cette oeuvre soit diffusée, l'autorisation personnelle de Honecker est nécessaire. Après le bannissement de Wolf Biermann et son expulsion de la RDA en 1976, de nombreux acteurs qui l'avaient soutenu quittent progressivement la RDA. Parmi eux se trouvent Paula puis Paul (Angelica Domröse et Winfried Gltazeder). Même s'il a aujourd'hui le statut de film culte, « La légende de Paul et Paula » a été frappée d'ostracisme pendant les dernières années de la RDA. Paradoxalement, la vague d'ostalgie lui a redonné sa place d'origine.


Les dernières années de la RDA sont marquées par la précarité de la situation des jeunes metteurs en scène. La censure se fait plus sournoise afin de donner aux films un ton et une fin optimistes. Dans les années 1980, de plus en plus d'employés veulent quitter le pays alors qu'en 1984 un article de l'organe du SED « Neues Deutschland » réclame un retour au dogmatisme.


Ce soubresaut n'empêche pas une certaine internationalisation du cinéma de RDA notamment par le biais de la Berlinale. En 1985, le jury présidé par Jean Marais décerne l'ours d'or au film "la femme et l'étranger". En 1988, les acteurs principaux du film « Chacun porte le fardeau de l'autre » sont récompensés par un ours d'argent. En février 1990, la Berlinale a lieu dans les deux parties de la ville.


En 1992, la DEFA est officiellement dissoute. Ses actifs sont revendus dans un premier temps à la société qui allait devenir Vivendi qui s'en sépare. En 2005 a lieu une rétrospective des films de la DEFA au Museum of Modern Art de New York.